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de se passer. On nous avait déclaré d’une façon non moins catégorique qu’il ne faut plus mettre d’esprit dans le dialogue, car cela n’est pas naturel et nous n’avons guère coutume de faire des mots dans la vie journalière. L’esprit ne se portait plus. Il se porte encore, et même il se porte assez bien. Plusieurs, parmi les plus gracieuses comédies de ce temps seraient de purs riens, si on en supprimait l’esprit du dialogue, et ce dialogue nous plaît par ce qu’il a d’outrageusement conventionnel, par un perpétuel défi qu’il jette à la nature et au bon sens. En fait nous n’avons horreur de rien tant que de la platitude. Pareillement que n’a-t-on pas dit contre l’emploi des thèses au théâtre ? Elles faussent la réalité et ne nous laissent qu’à demi convaincus. Or, nous avons vu reparaître la pièce avec thèse, et même la thèse sans pièce. Ne prétendait-on pas aussi que c’était fini de la sensibilité et de la fantaisie et que l’âge moderne est un âge de prose ? Mais c’est la poésie qui a fait au théâtre la plus triomphante rentrée ; c’est vers elle qu’on a vu courir tout Paris et toute la province ; c’est elle qui sur son aile s’en est allée porter jusqu’aux confins du monde la renommée de notre imagination rajeunie.

Il reste qu’il s’est produit au théâtre un déplacement du point de vue et un renversement des rôles. Il ne suffit pas de dire que l’intrigue s’est simplifiée ; elle se subordonne aux autres élémens ; elle est réduite à n’être que le moyen qui sert à les mettre en valeur. Psychologue, moraliste, théoricien, l’auteur dramatique pose d’abord le sentiment qu’il veut analyser, le cas qu’il veut débattre, la thèse qu’il veut prouver ; il ne s’avise qu’ensuite des incidens qui lui permettront de mettre sa pensée dans tout son jour. Ou encore, s’il est complètement un artiste, apercevra-t-il dans une vision synthétique l’idée faisant corps avec le milieu et l’action qui lui conviennent. Peintre de mœurs, l’intrigue ne lui servira que de lien pour rattacher les scènes prises directement dans la vie. Peintre des caractères, elle ne lui servira qu’afin que ces caractères, sous l’action des circonstances, révèlent leur contenu et développent leur principe. « Placez les personnages dans une situation initiale qui mette en jeu leur vice dominant, leur passion maîtresse. Puis laissez-les aller tout seuls, ne vous mêlez plus de rien : vous gâteriez tout. Pas de nœuds, pas de péripéties, rien que le développement des caractères. » C’est ainsi que par sa conception essentielle la comédie d’aujourd’hui rejoint celle du XVIIe siècle et que le progrès s’y fait par un retour à la tradition. C’est en ce sens qu’on a pu dire qu’à l’art de Scribe nos auteurs opposent l’art de Molière.

Cet art nouveau ou renouvelé aura-t-il d’ailleurs plus de vitalité