entretiens portent sur la musique, la théologie, les néologismes, la différence des mœurs anglaises et des mœurs allemandes. Nulle trace, non plus, d’une préoccupation générale ; pas l’ombre d’un symbole, ni d’une thèse. Loin de mettre en relief l’opposition de l’ancienne génération et de la nouvelle, à propos du vieux Stechlin et de son fils, c’est comme si l’auteur avait cherché à l’atténuer, en supprimant tout contact du père et du fils, en évitant d’insister sur les différences de leurs caractères, en leur prêtant à tous deux les mêmes pensées et les mêmes sentimens. On peut dire, d’ailleurs, que les diverses parties du livre n’ont entre elles aucun bien, ou plutôt que les parties relatives au père et celles qui se rapportent au fils sont comme deux récits distincts entremêlés après coup. Impossible d’imaginer une absence plus complète de plan, d’intrigue, et d’action. Les personnages ne font que causer, le plus souvent à table ; ils causent des sujets les plus variés et les plus imprévus, depuis le péché originel jusqu’aux romans du comte Tolstoï ; et cela tient plus de cinq cents pages, d’un petit texte serré.
Tout porte à croire que, dans ces conditions, une traduction française du dernier roman de Fontane n’aurait guère de chances de nous émouvoir : nous soupçonnerions l’auteur de se moquer de nous, ou de radoter. Et cependant la vérité est que Fontane a écrit son livre le plus sérieusement du monde, et que, malgré ses quatre-vingts ans, il y a mis plus de verve, plus de souffle, plus de jeune fraîcheur que dans aucun autre. Mais c’était là sa façon de concevoir le roman : et les mêmes défauts se retrouvent dans tout le reste de son œuvre, dans l’Adultera, dans Effi Briest, dans Stine, dans ces Irrungen Wirrungen que les lettrés allemands tiennent pour son chef-d’œuvre.
Irrungen Wirrungen, par exemple, n’est rien que le tableau des médiocres amours d’une blanchisseuse berlinoise et d’un jeune officier. Les amans se promènent dans la campagne, au clair de lune, et causent entre deux baisers : l’officier parle de son régiment, l’ouvrière de son atelier ; et l’auteur nous fait assister aussi aux conversations des parens de la jeune fille, des voisins, des cliens de la blanchisserie. L’œuvre est, en vérité, moins longue que Der Stechlin, et elle aboutit à un dénouement, puisque l’officier quitte sa maîtresse pour faire un beau mariage. Mais il la quitte de la manière la plus naturelle, en ami ; et elle s’y résigne aussitôt, de sorte que ce dénouement, prévu dès le début du livre, n’a rien de plus romanesque que la mort du vieux Stechlin. Et si le dernier roman de Fontane est de moitié plus long, peut-être en revanche est-il plus rempli, ayant plus de personnages avec un décor plus varié.