même faisait aussi le maître du château. Lui aussi était un Stechlin. Dubslav de Stechlin, major en retraite, et ayant déjà fortement dépassé la soixantaine, était le type d’un gentilhomme de la Marche, un de ces originaux chez qui il n’y a pas jusqu’aux faiblesses qui ne prennent l’apparence d’autant de qualités. Il gardait encore absolument intact l’orgueil commun à tous ceux qui ont conscience « d’avoir été là avant les Hohenzollern ; » mais il refoulait cet orgueil tout au fond de son âme ; et, quand par aventure il l’exprimait au dehors, il s’efforçait du moins de l’envelopper d’ironie. Aussi bien son instinct le portait-il à mettre derrière toute chose un point d’interrogation. Mais le plus beau trait de sa nature était une profonde, une sincère humanité ; l’obscurité et l’exagération étaient les deux seuls défauts qu’il n’excusait pas. Il écoutait volontiers un libre avis, y prenant d’autant plus de plaisir qu’il était plus vif et plus radical ; et peu lui importait, après cela, qu’il différât du sien. Les paradoxes étaient sa passion. — Je n’ai pas assez d’esprit pour en faire moi-même, disait-il, mais j’aime infiniment que les autres en fassent : on y trouve toujours quelque chose à retenir. Des vérités inattaquables, il n’y en a pas : ou, s’il y en a, elles sont trop ennuyeuses. — Et il se plaisait à entendre bavarder, et lui-même, à l’occasion, bavardait volontiers. »
Il bavarde, en effet, à tout propos, mais avec tant d’imprévu et tant de sagesse qu’on ne se lasse pas de son bavardage. « Je n’ai reçu ta dépêche qu’une heure avant ton arrivée, dit-il à son fils. Ah ! le télégraphe ! Il a des avantages, c’est certain, mais il a aussi bien des inconvéniens. Au point de vue de la politesse, par exemple, que de mal il a déjà fait ! J’admets que la brièveté soit une vertu ; mais vraiment la brièveté qu’impose le télégraphe ressemble trop à de la grossièreté. Toute trace de courtoisie disparaît ; le mot Monsieur, lui-même, est tout à fait supprimé. J’avais autrefois un ami qui disait qu’un carlin était d’autant plus beau qu’il était plus laid ; et de même un télégramme est d’autant meilleur qu’il est plus grossier. C’est sa nature qui le veut ainsi. Mais du reste il correspond bien à l’esprit nouveau. Tout homme qui découvre un moyen d’épargner cinq pfennigs est aussitôt tenu pour un génie ! »
« Tout déchoit, dit-il encore, après avoir constaté la décadence de la plaisanterie. Tout devient plus médiocre, et de plus mauvaise qualité. C’est ce qu’on appelle le temps nouveau : toujours quelques degrés plus bas ! Et mon pasteur, d’ailleurs un très brave homme, figurez-vous qu’il prétend que cela doit être ainsi ! Il m’affirme que c’est en cela que consiste la civilisation, à descendre toujours quelques