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nous l’avons médiocrement réalisée, et, si nous avons cru le contraire, c’est que nous nous sommes contentés de peu. Mais, cette fois encore, qu’on nous dise où, quand, comment nous avons laissé apercevoir de pareilles prétentions. Nous savons fort bien, pour notre compte, qu’il n’y a rien de plus risqué que ce qu’on appelle « une victoire diplomatique, » parce que ces victoires amènent presque toujours une réaction ou une contre-partie ; mais ce danger, il y a longtemps que nous ne nous y sommes pas exposés. Toutes les fois que nous avons conclu un arrangement avec l’Angleterre, nos coloniaux ont déclaré à grands cris que nous avions été dupés, et il a fallu leur expliquer ce qu’a si bien dit sir Edmund Monson, à savoir qu’un arrangement comporte inévitablement des concessions, c’est-à-dire des sacrifices réciproques. En Angleterre aussi, des réclamations, des récriminations du même genre se sont produites en pareille occurrence, car, si nous avons nos chauvins, l’Angleterre a les siens, et des deux côtés de la Manche cette espèce d’hommes est la même. Elle est d’ailleurs utile, malgré ses exigences, pourvu qu’on ait soin de ne pas s’y asservir. Mais, chez nous, il y a toujours eu des hommes publics, des orateurs, des écrivains pour rappeler qu’un contrat ne pouvait être durable qu’à la condition de n’être pas léonin, et, finalement, l’opinion les a crus. En a-t-il été de même chez nos voisins ? Alors, que signifie cette levée de boucliers contre la France ? Ce n’est pas nous qui cherchons de grands et éclatans succès et qui poursuivons des victoires diplomatiques, mais bien les Anglais, et sir Edmund aurait dû adresser ses leçons à ses compatriotes. Un mauvais vent a soufflé sur eux. Sans doute il n’y aura là qu’une de ces bourrasques passagères qui tombent et se dissipent après avoir sévi quelque temps, toujours trop longtemps à notre gré. On assure déjà que le calme commence à revenir. Nous l’espérons, nous le souhaitons surtout, quoique les symptômes favorables ne soient encore ni bien nombreux, ni bien distincts.

Le récent discours que M. Chamberlain a prononcé à Wakefield n’est certainement pas un de ces symptômes. Il peut se résumer ainsi : nous avons tant d’amis que nous n’avons vraiment pas besoin de l’amitié de la France, et que ce serait de notre part une grande faute de la payer plus cher qu’elle ne vaut. Dans sa perspicacité, M. Chamberlain a reconnu que le danger de l’heure présente pour l’Angleterre était de priser trop haut l’amitié de la France, et de faire trop de sacrifices pour l’obtenir. À quoi bon ? On peut s’en passer. M. Chamberlain passe triomphalement en revue toutes les autres