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grains, se décèle par son parfum à l’odorat expérimenté du contremaître ; ce dernier connaît d’ailleurs exactement la quantité de « bon goût » que chaque alambic peut rendre. Quoiqu’ils se bornent à sentir, et ne goûtent jamais, les ouvriers sont exposés ici, sous l’influence des vapeurs qui attaquent leur gorge et leur foie, à devenir d’involontaires alcooliques.

Au sortir du col de cygne qui surmonte le 44e et dernier plateau, l’alcool, pénétrant dans un condenseur, y est soumis à une sélection nouvelle. Dans ce récipient, où la température est maintenue à 70 degrés environ, il se sépare de lui-même, suivant son poids, en deux couches distinctes : la plus lourde, qui n’est pas encore totalement purifiée, s’amasse au fond et reprend le chemin de l’alambic pour se faire distiller une seconde fois ; la plus légère est admise dans le réfrigérant, puis à l’éprouvette, d’où on l’envoie dans les magasins. C’est au moyen d’un simple robinet, en donnant plus ou moins accès à l’eau froide dans le condenseur, y abaissant ou élevant ainsi la chaleur, tantôt pour maintenir la qualité, tantôt pour augmenter le débit, qu’un homme attentif et immobile dirige toute la rectification. L’eau joue donc, dans un travail de ce genre, un rôle considérable. L’usine de Pantin en consomme à l’heure 100 000 litres, puisées par deux pompes monumentales à 70 mètres au-dessous du sol, dans une nappe courante que les ingénieurs disent venir de Soissons.

La transformation en alcool comestible des flegmes de toute origine laisse relativement peu de déchet : la « freinte, » c’est-à-dire la différence admise par la régie entre les entrées et les sorties, n’est que de 3 litres 50 pour 100. La perte de matière n’est donc, pour ce genre d’industrie, qu’une dépense modique ; mais les manipulations multiples, auxquelles donne lieu l’extraction de ces quelques litres, expliquent la marge de 4 à 5 francs entre le prix des alcools bruts ou rectifiés.

Un écart bien plus fort, une plus-value du double peut-être, serait exigé du client qui, au lieu d’acheter l’alcool à 96 degrés environ, tel qu’il est vendu par le commerce, prétendrait l’obtenir à 100 degrés ou « absolu. » Pour ces quatre degrés de complément, il faudrait payer 40 francs l’hectolitre, autant que pour les 96 autres ; aussi nul client ne s’en avise-t-il, à l’exception des chimistes, dont certaines expériences requièrent l’absence totale de l’eau. Il en faut chaque année à l’Institut Pasteur une assez forte dose ; pour étudier au microscope un organe d’animal