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mort à la suite d’une maladie inoculée, on doit durcir préalablement la matière, — la moelle épinière par exemple, — par une immersion de plusieurs jours dans l’alcool absolu, afin de pouvoir ensuite la découper à l’aide d’un appareil particulier, le « microtome, » en lamelles invraisemblables de un quatre centième de millimètre d’épaisseur. On se procure cet alcool anhydre en redistillant l’alcool ordinaire de 96 degrés, mêlé à de la chaux vive naturellement avide d’eau. Mais on s’en procure très peu et on a soin de le recueillir bien vite en flacons hermétiquement bouchés ; car le contact avec l’humidité naturelle de l’atmosphère suffit à le faire descendre de 100 degrés à 99.

Pour le commerce, l’alcool absolu n’offre aucune espèce d’intérêt, puisque, avant d’être livré à la consommation, on le réduit, par addition d’eau, à un titre variant de 40 à 55 degrés, selon l’usage auquel on le destine. Le plus répandu de ces usages, qui absorbe, seul, 1150000 hectolitres, est l’imitation de l’eau-de-vie de vin. Une infusion de coques d’amandes brûlées, de vanille et de thé, avec addition de caramel, procure à des esprits naturellement plats et parfois acres, le goût de bois, la couleur et le parfum qui caractérisent le vieux cognac. Ces « bonificateurs » sont plus ou moins soignés et leur prix monte à certains chiffres, lorsqu’ils sont reconnus capables de communiquer, aux produits où on les verse, un moelleux et un vieillissement factices. Des fabricans spéciaux vendent 25 et 32 francs le kilo la « sève de fine Champagne, » tandis que des « sirops de raisins » plus vulgaires ne figurent au prospectus que pour 1 fr. 60. Il se fait même en Allemagne une « essence de cognac, » ayant pour base les pépins de raisins, desséchés d’abord par la presse hydraulique pour en retirer l’huile d’amande douce, distillés ensuite à l’état de tourteaux. Quelques gouttes de la substance ainsi préparée, qui coûte, il est vrai, de 200 à 500 francs le kilo, suffisent pour un litre d’eau-de-vie.

Le public s’est tellement habitué à ces sortes de liqueurs qu’il ne faudrait pas se hasarder à lui offrir brusquement du cognac ou de l’armagnac nature. Plus d’un malin gourmet s’écrierait qu’on le trompe et que c’est là simplement un vil trois-six du Nord. D’autres eaux-de-vie ne sont qu’à demi sincères : souvent, en pays de production, il est versé des spiritueux d’achat sur des lies ou des « vinasses, » c’est-à-dire sur des vins déjà distillés, dénués par conséquent de force, mais possédant encore une bonne