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méthodique, sur les différens bancs. Le privilège de la pêche sur les bancs désignés est mis en adjudication : la durée, (ordinairement deux mois, avril et mai), le nombre des bateaux, tout est fixé. M. de Noë, qui fut témoin de cette pèche, dans les premières années du siècle, et M. A. Grandidier qui y assista, en 1863, en ont donné des récits pittoresques et concordans. Nous n’avons pas à décrire ici cette multitude de bateliers, de pêcheurs, de trafiquans de toute espèce, au nombre de plus de cinquante mille, qui accourt de toutes parts sur une plage déserte la veille ; les huttes de branchages qui s’élèvent pour l’abriter ; au centre de cette ville improvisée les parcs (koutos) fermés de pieux, où tous les soirs est apportée la pêche de la journée et les centaines de milliers d’huîtres qui y pourrissent et empestent l’air ; le travail des hommes qui, sommairement vêtus afin de ne rien pouvoir dissimuler, malaxent cette charogne sous l’œil ou plutôt sous la baguette d’un surveillant ; et l’ouvrier, garrotté à un poteau et à qui l’on fait ingurgiter une purgation violente parce que, trompant la surveillance dont il est l’objet, il a réussi à avaler une perle de prix. Tout cela est du domaine de la littérature de voyages.

Les bancs sont à 15 milles de la côte : chaque matin, ou plutôt chaque nuit, la flottille des deux cents bateaux, montés chacun par vingt hommes, se dirige vers les bancs désignés, dont l’emplacement est marqué par des bouées. Les bâtimens de garde les empêchent de s’en écarter. La pêche commence. Chaque bateau comprend dix pêcheurs, divisés en deux équipes de cinq qui plongent alternativement. Le plongeur descend dans l’eau au moyen d’une masse de pierre, d’une sorte d’étrier pesant dans lequel son pied est engagé. Il porte à sa ceinture un lest supplémentaire, de 7 à 8 livres, au moyen duquel il peut se maintenir dans les eaux profondes après qu’il s’est défait de son premier fardeau. Sa bouche est protégée par un bandeau, son nez et ses oreilles par des tampons d’ouate imbibée d’huile. Ainsi équipé, il explore les fonds rocheux à 12 et 20 mètres de profondeur ; il saisit les coquillages, les arrache, et en emplit un filet qu’il porte à sa ceinture. Il continue, jusqu’à ce que, à bout de respiration, les oreilles emplies de bourdonnemens, on le remonte dans la barque au moyen d’une corde fixée à sa taille. L’homme est resté sous l’eau pendant une minute environ, quelquefois davantage.

Cet exercice, il le renouvelle de vingt à trente fois pendant les cinq heures que dure la pêche quotidienne. Chaque fois il ramène