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dans son ouvrage, et, quoiqu’ils soient morts et qu’il aime surtout exercer sa verve sur les vivans, M. Ernest-Charles leur a consacré de nombreuses pages dans ses Praticiens politiques.

Ils sont certainement très dignes tous les deux d’attention. Ils ont leur originalité. Il est remarquable quils ne sont élèves d’aucun maître immédiat. Je ne dis pas pour cela qu’ils soient des hommes extraordinaires, mais enfin ils ne sont élèves d’aucun maître qu’ils aient entendu. Il est incontestable que les orateurs illustres du second Empire étaient, talent naturel misa part, les disciples des grands orateurs de l’époque précédente. Jules Favre avait beaucoup de Guizot et l’avait certainement étudié de près, sans se borner à n’étudier que lui ; et Lamartine avait certainement un disciple très éloquent sur les bancs du Corps législatif de 1863 à 1869, tandis qu’il serait assez difficile de « rattacher » soit Gambetta soit Jules Ferry à quelque maître de l’époque qui les précéda.

Gambetta procède directement des orateurs de la première Révolution. Moins les métaphores, car il est notable que la parole de Gambetta n’était nullement imagée et ni il n’usait guère des métaphores traditionnelles, ni il n’en inventait de neuves ; moins donc les métaphores, il a la façon de parler qui était usitée vers 1790, et rappelle tantôt Barnave, tantôt Danton, tantôt Robespierre. Il rappelle même Mirabeau, que je crois qu’il pratiqua, et dont il a tous les défauts. Enfin il représente assez bien la moyenne, prise un peu haut, de l’éloquence révolutionnaire.

Pompe continue ; fastuositéde développemens ; accumulations de synonymes ; style périodique perpétuel ; enflure et renflemens successifs de la phrase qui jamais ne s’achève et qui toujours s’élargit ; période traversée d’incises qui la percent pour ainsi dire en chemin et qu’elle emporte comme le taureau les banderilles ; vastes écroulemens d’énormes substantifs abstraits en nombre illimité, entraînant chacun dans sa chute un cortège d’adjectifs abstraits aussi et longs eux-mêmes ; le tout, à vrai dire, emporté dans un mouvement assez rapide et sauvé par lui : c’est l’aspect extérieur de la plupart des discours de Gambetta, et il faut dire que, dans la plupart aussi, il n’y a rien de plus que l’aspect extérieur.

Dans ceux de ces discours qui ont un peu plus de substance, on remarque un caractère essentiel encore de l’éloquence révolutionnaire : manœuvrer avec subtilité dans des abstractions. Son