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pression, de surprise, et qu’on ne transformera pas un verdict rendu par la servitude en un instrument d’usurpation et de dictature ?


Avec plus de mots encore, et des périodes plus embarrassées, plus surchargées, toujours soutenues par un certain souffle et entraînées et allégées par un certain mouvement oratoire, Gambetta a toujours fait ainsi. Analyser des abstractions en style abstrait et retentissant ; les heurter les unes contre les autres, ou en heurter les uns contre les autres les élémens, avec un certain fracas imposant, et non sans une certaine adresse de subtilité rude et lourde ; constituer ainsi des harangues qui ne résisteraient pas à une discussion un peu serrée, mais qui étonnent un peu par un certain air philosophique et qui écrasent un peu par la fougue verbale et la masse verbale ; c’était le talent, peu distingué, mais aussi non pas donné à tous, de cet homme, dont ce que j’admire le plus, et après tout c’est marque d’une bonne tête, est qu’il ne se perdît pas dans la forêt touffue des abstractions qui naissaient, poussaient et se répandaient autour de lui en frondaisons luxuriantes, et qu’il y retrouvât assez sûrement son chemin. C’était la forêt de Birnam. Il était un peu aveuglé par elle en marchant derrière elle, mais elle marchait, et lui aussi ; car il la portait.

De Jules Ferry considéré comme orateur, je dirai peu de chose, et même rien, sinon que je comprends peu l’admiration que M. Ernest-Charles a manifestée pour lui. C’est une si grande chose que de savoir vouloir et en même temps de savoir ce qu’on veut, qu’il n’est nullement étonnant que Jules Ferry ait eu une place dans l’histoire de son pays ; mais je n’admets guère qu’il en ait une dans l’histoire littéraire. Chez lui la langue, sauf quelques formules vigoureuses une fois trouvées et qu’il répétait toujours, en les plaçant assez bien, est plus incorrecte encore que chez Gambetta et devient tout à fait une langue de conversation très négligée. La phrase, moins surabondante, touffue et feuillue que celle de Gambetta, peut agréer mieux ; mais elle est plate, rampante, sans organisme, et ne paraît ni celle d’un orateur, ni celle d’un écrivain, ni faite pour être parlée, ni faite pour être écrite. Elle dit assez clairement ce qu’elle veut dire, et c’est tout ce qu’il y a à en dire.

Quant à l’argumentation, elle est presque continuellement sophistique et il est peu de ses raisonnemens qui ne soienl extrêmement faibles une fois désarmés d’une certaine raideur d’affirmation