Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourtant, lorsqu’en 1683 les Turcs arrivent sous les murs de Vienne, le grand roi reconnaît le devoir de défendre, fût-ce en faveur de l’Autriche ennemie, la chrétienté. Mais il veut pour son fils le titre de roi des Romains, la succession de l’Empire : tandis qu’il marchande son concours, Sobieski le donne et sauve l’Autriche. La terreur de l’Europe survit en une coalition contre l’Islam ; l’appui de la France assurerait le succès ; mais, contre l’Autriche, notre politique a toujours besoin du Turc. Il faudrait alors le secourir ; mais, tandis que les scrupules et les ambitions se combattent en Louis XIV, il ne s’arme ni pour les unes ni pour les autres. Et les quatorze ans de guerre qui précèdent le traité de Carlowitz, puis les dix-neuf qui aboutissent à la paix de Passarowitz, commencent, sans une aide de nous à la Turquie, la décadence de notre alliée. Sous Louis XV, notre amitié se borne à ralentir cette décadence par nos conseils, jamais par nos armes. De menaçant, le Turc devient menacé ; le partage de l’Empire ottoman est remis en question par les écrivains, par les chancelleries. Sous Louis XVI, la Russie, impatiente de posséder Byzance, nous offre une compensation : soit les Pays-Bas, soit l’Egypte et les Iles de l’Archipel. Notre gouvernement refuse : il répugne à son honneur de hâter la mort où il a promis l’amitié. Mais déjà il ne compte plus ni sur la force ni sur la vie de l’allié, et, après plus de deux siècles où il n’a su ni le servir ni s’en servir, il se demande si depuis François Ieril ne se serait pas trompé.

Des politiques aussi observateurs que sont les Orientaux ne pouvaient se méprendre sur ces sentimens. Dès le début, l’alliance leur fut une déception. Un gouvernement qui avait cherché leur aide, mais en rougissait, et ne voulait pas se laisser prendre en flagrant délit d’amitié avec eux, mêlait à son bon vouloir trop d’humiliations et d’indifférence pour mériter la confiance et la gratitude des Musulmans. Forcés de reconnaître dans ces procédés à leur égard les ménagemens de nos rois pour les traditions chrétiennes et toujours vivantes de la nation, ils ne pouvaient se dissimuler la fragilité d’une trêve qui avait suspendu, mais non détruit la vieille haine. Cette trêve ne leur avait pas donné le compagnon généreux et sûr dont ils avaient besoin et qu’ils eussent payé de retour. Ils se sentaient toujours seuls, n’avaient pour allié que les discordes de l’Europe, et voyaient simplement en la France la nation qui leur voulait le moins de mal. Ils rendirent ce qu’on leur offrait, ils se prêtèrent, sans se donner, à un