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les sentimens que les acteurs exprimaient sur la scène. Caton, le grand citoyen, le censeur rigoureux, pense et parle comme Plaute. Il n’a jamais manqué une occasion de dire des sottises aux femmes ; il ne se tient pas d’aise quand il rappelle avec quelle dureté la loi romaine les traite, et comme elle leur fait un sort différent de celui des hommes. « Si tu saisis ta femme en adultère, disait-il, tu peux la tuer sans jugement : c’est ton droit. « Et il ajoutait d’un air de triomphe : « Mais elle, si elle te surprenait, ne pourrait pas te toucher du bout du doigt : la loi le défend. » Plaute a mis la scène en action dans une de ses comédies. La femme de Ménechme, trompée par son mari qui lui prend ses plus beaux vêtemens pour les donner à sa maîtresse, envoie chercher son père, comme la femme de Georges Dandin, dans Molière ; mais les choses tournent autrement. Le père, dès le début, prend les intérêts du mari. Il blâme sa fille de le surveiller, et proclame comme un principe qu’elle doit lui laisser faire ce qu’il voudra ; et, quand elle lui dit qu’il est l’amant d’une courtisane qui habite à côté, il répond qu’il a bien raison :


At enim ille hinc amat meretricem ex proxumo. — Sane sapit.


Plaute ne s’est départi qu’assez rarement de sa sévérité envers les femmes de naissance libre. Trois ou quatre fois, dans tout son théâtre, il a consenti à les traiter avec un peu plus de bienveillance. Les deux sœurs du Stichus, que le père veut persuader de quitter leurs maris parce qu’ils sont pauvres, et qui refusent, la jeune fille du Persa, à qui le parasite, son père, demande d’entrer un moment dans un mauvais lieu pour jouer un méchant tour au maître de la maison, et qui a tant de peine à s’y résigner, sont de fort honnêtes personnes, mais qui manquent entièrement de charme. Placées dans des situations où leur âme devrait être profondément troublée, elles restent maîtresses d’elles-mêmes ; au lieu de gémir et de pleurer, elles raisonnent et discutent. C’est bien là, peut-être, le caractère d’une Romaine, et Plaute les a représentées avec les qualités qu’elles possédaient réellement ou qu’elles affectaient d’avoir, et dont elles étaient fières. Mais ces qualités ne paraissent pas l’avoir beaucoup séduit. Il est clair qu’il préférait à cette raideur le naturel, les caprices piquans, l’abandon aimable de ces jeunes courtisanes qu’il a dépeintes avec tant de grâce et quelquefois avec tant d’amour. On voit bien que c’était son monde ordinaire et qu’il ne s’en éloigne pas volontiers.