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quable qu’à Rome, la comédie imitée du grec cessa de plaire aux spectateurs le jour où, écoutant quelques lettrés délicats, elle essaya de se rajeunir ; le peuple lui préféra le mime, qui n’avait pas ces scrupules, et lui servait à peu près toujours le même spectacle. Nous avons la preuve qu’un mime célèbre, le Laureolus, qui représentait le sujet éternellement populaire de la lutte d’un voleur avec la police, fut joué pendant plus d’un siècle. En réalité, le peuple ne tenait pas à l’intrigue, et, comme Plaute avait tous les goûts du peuple, il n’y tenait pas plus que lui. Elle est pour lui uniquement un cadre commode, dans lequel il place les scènes qui lui plaisent, et qui sont aussi celles qui plaisent le plus au public. Quand il faut mettre aux prises des esclaves qui se querellent entre eux, ou qui injurient le souteneur et le capitan, il ne s’arrête plus. Ces sortes de disputes devaient avoir pour les spectateurs de Rome un ragoût particulier ; elles leur rappelaient les origines mêmes de leur théâtre. Du temps qu’on vivait aux champs, la vendange ou la moisson finies, quand on avait offert un sacrifice aux dieux de la campagne, on s’asseyait en cercle sur le gazon, « en face du zéphyr, » et l’on écoutait deux gaillards, qui sans colère, sans passion véritable, pour le seul plaisir d’exercer leur verve et d’égayer l’assistance, faisaient assaut de sottises. Plaute rendait aux Romains quelque chose de leurs anciens divertissemens,et nous pouvons être sûrs qu’ils prenaient plus de plaisir à ces querelles d’esclaves, qui leur rappelaient les opprobria rustica de l’ancien temps, que si l’on s’était donné la peine de composer pour eux une pièce bien faite, avec un dénoûment nouveau et des personnages qu’ils n’avaient jamais vus.

Ce qui paraît au premier abord plus grave, c’est que les pièces de Plaute sont traduites des comédies grecques, et l’on suppose que les Romains ont dû être mal disposés pour un théâtre étranger ; mais ici encore on se trompe. Les Romains de ce temps n’aspiraient pas à la gloire des lettres ; rien n’était plus loin de leurs idées que d’envier à la Grèce ses artistes et ses poètes. Ce qu’ils voulaient, c’est qu’il ne manquât rien à l’éclat des jeux qu’on leur donnait, et qu’on allât chercher partout, pour les amuser, ce qu’il y avait de plus curieux. Ils avaient entendu dire que les meilleures comédies venaient d’Athènes, comme le bon vin venait de Chio ; il fallait donc qu’on se fournît de comédies en Grèce. Aussi Plaute ne fait-il pas comme les imitateurs ordinaires qui dissimulent leurs emprunts ; lui, au contraire, proclame haute-