l’injustice humaine ; mais espérez-vous, vous qui ne comptez même pas sur la justice, supprimer jamais le hasard naturel, avec ses chances qui, souvent malheureuses, sont aussi souvent « heureuses, » comme l’a montré Darwin ?
La « rente » du sol, dont Marx emprunte à Ricardo la théorie, et qu’il veut restituer à la société, lui revient d’elle-même progressivement, sans compter la reprise exercée légalement par la société sous la forme de l’impôt foncier. La rente de la terre va diminuant, et même trop vite. Celle qui reste n’est qu’une partie, relativement médiocre, du revenu total, dans la civilisation moderne, où tant d’autres forces sont mises en jeu, y compris les forces intellectuelles, morales, sociales. Si vous mettez à part quelques grands crus de vin et quelques prairies, la rente spontanée n’existe plus guère en Europe pour la propriété rurale. Les neuf dixièmes du sol français ne rapportent pas l’intérêt des capitaux qui y ont été incorporés depuis un siècle ou deux. Bien loin qu’il faille s’attendre à une plus-value, du moins pour le prochain demi-siècle ou le prochain siècle, M. Paul Leroy-Beaulieu a montré que la propriété européenne devra en général supporter une moins-value nouvelle. Écoutez dès aujourd’hui les plaintes de nos cultivateurs ! Les terres qui sont naturellement les plus fertiles du globe ne sont pas encore en culture, les rives des Amazones par exemple, celles du Congo, du Zambèze, etc. Alors même que toutes les terres seraient en culture, les améliorations agricoles, une fois généralisées, font baisser la rente. Il n’est pas démontré que la rente urbaine, d’autre part, doive continuer à s’accroître ; c’est faire un calcul très conjectural que de croire qu’une maison de Paris donnera dans cinquante ans un bien plus fort revenu qu’aujourd’hui. La véritable rente, voici où elle existe : dans les profits extraordinaires des artistes, des Nilsson, des Patti, des Sarah Bernhardt, des Coquelin, des peintres et sculpteurs, de certains grands industriels, tels que les Bessemer ou les Menier, des pharmaciens à remède, des grands chirurgiens, des médecins et avocats habiles. Ce sont ceux-là qui recueillent ouvertement la véritable rente sociale, et ils le doivent précisément à ce qu’ils sont des « personnalités. »
Au lieu de contribuer pour son compte à augmenter la richesse sociale, le capitaliste ne fait, répond Marx, que « détenir » certains moyens de l’accroître, pour se les faire payer très cher. Mais, si ma fortune est mon œuvre, la prétendue chance que j’ai