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révision du procès, ceux qui la réclamaient le plus impérieusement avant même d’avoir un fait nouveau à invoquer, peuvent se vanter d’avoir maintenu, envers et contre tous, la question ouverte et d’avoir empêché la prescription. Soit ; mais ils peuvent se vanter aussi d’avoir propagé la plus funeste des agitations, et au lendemain de la publication du Figaro, s’ils ne se sont proposé que de réveiller et d’entretenir cette agitation qui commençait à tomber, ils peuvent se vanter encore et se féliciter du résultat qu’ils ont obtenu.

Heureusement une certaine lassitude, trop grande désormais pour pouvoir être secouée complètement, a empêché l’émotion publique d’être aussi vive qu’elle l’aurait été quelques mois, ou même quelques semaines plus tôt. On commence à ne plus croire aussi facilement qu’autrefois : cela vient peut-être de ce qu’on a cru les unes après les autres trop de choses contraires, et qu’on est irrémédiablement fatigué de ces exercices de dislocation cérébrale. Si la première lecture du dossier avait engagé décidément l’opinion dans un sens déterminé, si tous les doutes avaient été résolus, si toutes les ombres avaient été éclaircies, enfin si la vérité s’était manifestée une et évidente, l’effet, assurément, aurait été considérable. Mais il n’en a pas été et il ne pouvait pas en être ainsi. Après le scandale du premier jour, qui a provoqué surtout le saisissement de la surprise, on s’est aperçu que les dépositions successives se contredisaient en quelque sorte méthodiquement. Des protestations, des réclamations, des explications se sont bientôt élevées et sont venues embrouiller de nouveau ce que l’on croyait commencer à entrevoir ou à démêler. Bien loin de dissiper les anciens nuages, la publication du dossier en a accumulé de nouveaux. Et peut-être était-ce là ce qu’on voulait. Quoi qu’il en soit, ceux qui avaient pris le sage parti de suspendre leur jugement, ou plutôt d’attendre celui de la Cour de cassation, n’ont vu dans cette publication qu’un motif de plus de s’en tenir à leur réserve. Nous ne sommes pas de ceux pour qui la fin justifie les moyens, et même, tout au rebours de ces casuistes, nous croyons exactement le contraire : à nos yeux, de mauvais moyens condamneraient plutôt, ou disqualifieraient la fin la plus légitime. Mais, en fait de mauvais moyens, nous n’en connaissons pas de pire que d’appeler les passions à prendre leur part dans l’œuvre propre de la justice. Si nous avons une magistrature, c’est pour se tenir en dehors et au-dessus des préventions de la foule, c’est pour s’abstraire des suggestions de la publicité, c’est pour rétablir les droits de la vérité contre les emportemens de l’opinion. Et voilà pourquoi le dossier de l’enquête aurait dû demeurer