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chute de Palmerston, s’était montré tellement contraire au ministère Derby que Malmesbury considéra ce choix comme une démonstration hostile. On craignit même un instant son refus. À la prière de Cowley, il ne le fit pas, mais il répondit fort peu aimablement au chargé d’affaires Malaret que la Reine était prête à recevoir quiconque lui serait envoyé par l’empereur des Français. « La réponse est un peu courte, fit Malaret. — Elle n’en sera que plus facile à télégraphier, » répliqua Malmesbury. La Reine reçut Persigny poliment, mais avec une froideur glaciale; elle ne prononça aucun discours (18 mai). « Si j’avais connu, écrivait Persigny à Walewski, l’irritation causée par ma nomination, j’aurais peut-être reculé devant des difficultés personnelles à ajouter à tant d’autres. »

À mesure que les troupes s’acheminaient vers Gênes et Turin, les généraux, qui « se plaignent toujours, même quand ils ne manquent de rien[1], » et qui, pour l’heure, manquaient de beaucoup de choses, déchiraient Vaillant à pleines dents. Notre système d’organisation et de mobilisation était le vrai coupable de la plupart des défectuosités, et, loin d’accuser le ministre de les avoir produites ou permises, il y avait lieu de le louer de s’être si diligemment employé à les atténuer. Mais accuser le système impliquait une portée d’esprit et une réflexion dont très peu de ces braves étaient capables et compromettait davantage, car c’était incriminer l’Empereur tout-puissant qui, malgré les expériences récentes de Crimée, n’avait pas détruit la centralisation excessive, cause de tous les désordres, si judicieusement condamnée par lui-même. Récriminer contre un ministre vieux et déjà chancelant n’exposait guère.

L’Empereur se crut obligé d’appliquer au ministre vilipendé la théorie du bouc émissaire, également chère dans tous les pays aux peuples et aux rois. Il remit au maréchal Randon le ministère de la Guerre. En donnant à Vaillant son congé, il ne lui cacha pas son véritable motif : « Je me suis décidé, bien à mon regret, à vous remplacer au ministère de la Guerre par le maréchal Randon. Je dis bien à regret, parce que vous savez toute l’amitié que j’ai

  1. « Les généraux demandent toujours ; c’est dans la nature des choses. Il n’y en a aucun but lequel on puisse compter pour cela. Il est tout simple que celui qui n’est chargé que d’une besogne ne pense qu’à cela; plus il a de monde, et plus il a de sûreté pour ce qu’il a à faire; c’est une grande faute qu’on fait lorsqu’on prend en considération leur demande si elle n’est pas de nature à être accueillie. » Napoléon à Joseph, 4 mars 1809.