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recommander. « J’ai promis à Maulevrier, lui dit-il, que je le chargerois d’une lettre pour vous lorsqu’il partiroit d’icy pour aller rejoindre le maréchal de Tessé. Vous me ferez plaisir de le bien traitter et de luy donner des marques de votre estime dans les occasions où je ne doutte pas qu’il ne le méritte. » Il continue en rapportant quelques traits militaires fort à l’honneur de Maulevrier, et il ajoute : « Il va en Espagne pour ne pas demeurer oisif et agir autant que sa santé le luy pourra permettre. Je croy que cette petite narration, en vous faisant connoître sa bonne volonté et l’intérest que je prends à luy, m’étant particulièrement attaché aussy bien que Madame sa femme l’est à la duchesse de Bourgogne, seroit pour luy, des recommandations suffisantes auprès de vous. »

Ce protégé du duc de Bourgogne se montra aussi inconsidéré en Espagne qu’en France. Son entregent et son audace le firent pénétrer fort avant dans la confiance du roi et de la reine d’Espagne qui l’admirent dans leur intimité. Il en abusa. Il voulut jouer le même jeu à Madrid qu’à Versailles. Il devint ou feignit de devenir amoureux de la Beine. Mme de Caylus, qui le traite de fou et qui ne croit à la sincérité de sa passion ni pour l’une ni pour l’autre des deux sœurs, prétend qu’il engagea aussi une correspondance avec la Reine, qu’elle lui répondit, et qu’elle lui faisait parvenir ses lettres roulées dans des boules de hoca[1].

Quoi qu’il en soit, son attitude finit par déplaire, et Tessé se vit réduit à demander le rappel de ce gendre dont il avait demandé l’envoi. Il invoqua encore un prétexte de santé. Pour le faire partir, cela avait été le froid. Pour le réexpédier, ce fut la chaleur. Au mois de mai 1705, Maulevrier quittait Madrid, porteur à la vérité d’une lettre très flatteuse du roi d’Espagne qui rendait justice à la valeur déployée par lui en volontaire au siège de Gibraltar. Après un voyage assez lent, au cours duquel il s’arrêta plusieurs fois en route, il fit sa rentrée à Versailles en automne. Il allait y trouver l’aspect des choses singulièrement changé. Du moins c’est Saint-Simon qui l’assure, mais il est ici le seul par qui nous soyons informés, car on ne trouve trace dans aucun des mémoires du temps de ce qu’il va nous raconter.

Depuis quelque temps avait reparu sur le théâtre de la Cour

  1. Le hoca était un jeu. Le rôle de Maulevrier en Espagne est un peu obscur et ne parait pas avoir été conforme en tout point à celui que lui fait jouer Saint-Simon. Voir édition Boislisle, p. 22-24, et additions et corrections, p. 589.