Persigny exposait sans réticences l’état d’esprit anglais : « Le public anglais croit que l’Empereur veut recommencer les conquêtes de l’Empire, qu’après l’Italie, il attaquera l’Allemagne et enfin l’Angleterre elle-même… Au fond, il déteste l’Autriche et fait des vœux ardens pour l’indépendance de l’Italie et pour le développement de la liberté dans le monde. Il ne comprend guère qu’un prince absolu comme l’Empereur puisse s’intéresser de bonne foi au bonheur d’un peuple étranger. Il est enfin disposé à soupçonner l’Empereur de n’avoir qu’un but personnel[1]. »
La reine Victoria était plus animée que son peuple. Que nous aidions le Piémont à se débarrasser de l’invasion autrichienne, elle s’y résignait, pourvu que la guerre fût localisée, et elle expliquait à l’Impératrice ce qu’elle entendait par une guerre localisée : c’était une guerre qui ne dépasserait pas le Tessin ; au delà, commençait la guerre de conquête. Les possessions autrichiennes envahies, elle trouvait tout naturel que l’Allemagne, effrayée de voir un des membres les plus importans de sa confédération en péril, vînt à son secours, et que toute l’Europe s’alarmât de voir mettre en question les traités d’où dépendent sa sécurité et son existence[2]. Souveraine absolue, elle se serait déclarée en faveur de l’Autriche, dès la proclamation de l’Empereur annonçant qu’il ne localiserait pas la guerre et irait des Alpes à l’Adriatique ; elle l’eût fait encore plus au lendemain de Magenta. Mais ses ministres, quoique de son avis, étaient obligés de tenir compte de l’opinion anglaise, et cette opinion n’était pas encore arrivée à un tel degré de défiance et d’animosité qu’elle autorisât son gouvernement à partir en guerre pour maintenir la détestable domination de l’Autriche, en Italie. Le cabinet fut obligé de cacher son hostilité sous la neutralité ; il la rendit du moins aussi hargneuse qu’il le put. La flotte fut mise sur pied de guerre ; des corps de tirailleurs, des milices de volontaires, des compagnies d’artillerie dans les villes maritimes furent organisées. Malmesbury, espérant nous embarrasser, posa à Paris et à Pétersbourg la même interrogation. Existe-t-il une alliance offensive et défensive de la France et de la Russie contre l’Angleterre ?