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opuscule du fondateur du parti socialiste allemand, Ferdinand Lassalle, intitulé : La guerre d’Italie et le devoir de la Prusse, conseillant aussi hardiment au peuple que Bismarck le conseillait au roi de prendre parti pour l’Italie. « Sa cause, disait-il, n’est pas moins juste parce que son champion est un usurpateur. Le principe des nations libres et indépendantes est la base des revendications de la Démocratie. La bonne entente entre les deux grands peuples de progrès, les Allemands et les Français, c’est la condition de laquelle dépend uniquement toute liberté politique, toute civilisation en Europe, toute réalisation des idées morales de l’humanité, tout développement démocratique. Si nous avions pour roi un autre grand Frédéric, il attaquerait l’Autriche à l’instant et ferait l’unité de l’Allemagne. » — Il conseillait de ne pas combattre inutilement le principe des nationalités en Italie et d’en tirer profit en Allemagne en mettant la main sur le Sleswig-Holstein. Cet opuscule était si fort en opposition avec le courant général qu’il ne fit pas même scandale, si ce n’est parmi les amis de l’auteur, qui se récrièrent contre l’apologie du césarisme prussien. Lassalle s’en tira en écrivant à Marx qu’il avait dit le contraire de sa pensée. Il désirait la guerre entre la Prusse et la France, il savait de source sûre que le gouvernement prussien y était décidé ; mais une guerre populaire ranimerait le sentiment dynastique au dommage du parti démocratique, tandis qu’une guerre impopulaire, mal conduite, finalement malheureuse, serait un triomphe pour la cause sociale de Marx[1].

Quelle que fût l’excitation des États moyens de l’Allemagne, elle n’était pas redoutable tant qu’ils étaient réduits à leurs propres forces. Ils ne pouvaient que japper sans mordre ; leur armée dans un état pitoyable, les fusils de l’infanterie remontant pour la plupart à un demi-siècle, l’éducation militaire presque nulle ; les troupes, grâce à l’abus des congés, composées moins de soldats que de paysans indisciplinés, les rendaient incapables de se mouvoir, et les passions allemandes ne deviendraient dangereuses que si la Prusse les secondait.

Les libéraux prussiens n’étaient pas à leur diapason de fureur. Bien que redoutant nos ambitions, peu tendres à l’Autriche, blâmant sa mauvaise administration, son ingérence dans l’Italie centrale, ils ne croyaient pas que l’intérêt allemand exigeât son

  1. Voir sur cet épisode le ch. VII du livre intéressant de M. Ernest Seillière sur Ferdinand Lassalle.