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envers lui, s’il ne lui a débité une thèse contre le mariage. Une pièce à thèse, selon la mode de 1899, doit contenir une thèse contre le mariage, « cette institution féroce. » C’est par là que le Torrent porte la marque d’aujourd’hui. Seulement on se borne d’habitude à demander que le lien du mariage soit rendu aussi lâche que possible, allégé par toutes les facilités de divorce imaginables. Il faut bien surenchérir. C’est pourquoi M. Donnay réclame tout uniment le mariage libre. Telle est, aux maux de notre société, la véritable panacée ; tout le reste n’est que palliatif. Versannes et sa maîtresse semblaient désignés pour inaugurer l’avènement d’une humanité supérieure fondée sur le mariage libre… L’excuse de ces « hardiesses », c’est qu’on n’est pas tenté un seul instant de les prendre au sérieux, et qu’on ne risque pas d’avoir envie de les discuter. Ce sont, non pas même des idées, mais des mots vides de sens. Car on ne saurait fonder ni le mariage sur l’amour, ni une société sur le caprice d’unions passagères. Le mariage libre, du jour où il serait décrété, cesserait d’être libre, parce qu’il serait le mariage. Pour ce qui est de prétendre que l’humanité s’élèverait au-dessus d’elle-même du jour où la loi nous autoriserait à avoir des enfans de ménage à ménage, par une méthode de croisement, c’est se moquer du monde, et cette fois sans grâce. On ne pouvait manquer de déclarer que ces opinions subversives viennent en droite ligne du théâtre d’Ibsen. Hélas ! Cela n’est pas même ibsénien. Ce n’est que puéril.

Dans une pièce qui est bien d’aujourd’hui, il est de même nécessaire qu’il y ait un rôle de prêtre. Depuis une dizaine d’années, on a définitivement installé le curé au théâtre, et dans tous les théâtres, au Palais-Royal et aux Variétés comme au Gymnase. Même il est étonnant que cette intrusion n’ait pas inquiété les personnes libérales et tolérantes qui se donnent pour mission de surveiller les empiétemens du cléricalisme. À l’heure qu’il est, il y a un prêtre dans la Dame de chez Maxim’, il y en a un dans le Vieux Marcheur, il y en a un dans le Torrent. Comme les curés qu’on nous montre ne sont ni assassins, ni faussaires, ni surtout fanatiques, et qu’on en fait plutôt de braves gens un peu sots, indulgens et doucereux, on déclare que toutes les convenances sont gardées et que, pour trouver ces exhibitions choquantes, il faudrait être l’esprit le plus affreusement étroit. Soyons donc cet esprit étroit. Dans la Dame de chez Maxim’ et dans le Vieux Marcheur, la drôlerie consiste à mêler à toutes sortes de polissonneries l’innocence d’un abbé candide qui ne voit, ne comprend, ne devine rien. Et tant pis pour ceux qui trouvent cela drôle ! Dans le Torrent, il est de