vivre après l’avoir sacrifié, jamais ! Le Cabinet, a déclaré le général Pelloux, ne saurait consentir « à cette distinction et à cette subtilité. » Il ne fait qu’un avec l’amiral Canevaro. Cela dit, le général Pelloux a remis au Roi la démission du Cabinet. Il est tombé loyalement avec l’amiral Canevaro, mais aussitôt il s’est relevé sans lui. Ce sont les habitudes italiennes. Il n’y avait pas dans la Chambre des députés un seul ancien ministre qui pût trouver incorrecte la conduite du général Pelloux : tous en ont fait autant.
L’occasion de la crise a été l’affaire de San-Moun : elle a mis le comble au mécontentement qui commençait déjà à se produire pour les raisons d’ordre général que nous venons d’indiquer. L’amiral Canevaro, brave marin dont les services qu’il a rendus à son pays dans maintes circonstances, et à l’Europe en Crète, ne sauraient être oubliés, a naturellement servi de bouc émissaire. Comme ministre des Affaires étrangères, il devait servir de point de mire à toutes les attaques. La première impression qu’il avait produite, dans des fonctions auxquelles il n’était pas particulièrement préparé, avait pourtant été fort bonne ; il avait inspiré au dehors confiance et sympathie, et il n’y a, même aujourd’hui, aucun motif de croire que ces sentimens n’étaient pas justifiés. L’amiral Canevaro a fait de son mieux, mais il n’a pas réussi en Chine, et, dans tous les pays du monde, c’est à l’événement qu’on juge les entreprises de ce genre. Il en est à cet égard en Italie comme ailleurs, et peut-être même, après les échecs de la mer Rouge, y est-on encore plus disposé à ressentir vivement le moindre insuccès, quelque réparable qu’il soit. L’imagination italienne, qui s’enflamme vite, a été tentée de voir dans l’affaire de San-Moun quelque analogie avec d’autres qui entretiennent dans la conscience nationale un regret toujours aussi amer. L’Italie éprouve comme un besoin de réparation et de revanche, ce qui est très naturel ; mais elle éprouve en même temps une crainte et une appréhension, bien naturelles aussi, de se voir lancée dans une nouvelle aventure. Au premier accident elle s’inquiète, et elle est déjà prête à s’irriter.
Les faits sont connus. Il est à peine utile de rappeler en quelques mots que le gouvernement italien, entraîné par l’exemple des autres grandes puissances européennes, a demandé au gouvernement chinois la cession à bail d’une baie, celle de San-Moun. Le Tsong-li-yamen a renvoyé purement et simplement sa note au ministre du roi Humbert à Pékin. Il a protesté, depuis lors, qu’il n’avait eu, en agissant ainsi, aucune intention désobligeante ; il s’est montré disposé à réparer ce qu’il y avait eu d’insolite et d’offensant dans son attitude ; mais, sur le