Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’obtenir de l’Empereur la liberté d’ajouter cette restriction. — Soit, lui fut-il immédiatement répondu.

L’Empereur renvoya, sans y changer un mot, les préliminaires signés à l’Empereur d’Autriche. Le même jour, il annonça la paix à son armée, qui, ignorant les dessous diplomatiques, fut mécontente de voir brusquement interrompre sa triomphante épopée. Aussitôt il partit de Desenzano avec Victor-Emmanuel. À Milan, l’accueil resta enthousiaste, à Turin, il fut hostile. La population affectait de crier : « Vive notre Roi ! » On eût cru entendre dans les rues l’imprécation de Shakspeare : « Convention insensée ! Le roi de France, dont l’armure avait été attachée par la confiance, que le zèle et la charité avaient amené en vrai soldat de Dieu sur le champ de bataille, a eu un secret entretien avec ce Démon rusé qui change les résolutions, ce brocanteur qui met en pièces la bonne foi, cet agent des paroles violées, l’Intérêt ! Il a frappé les yeux du volage roi de France, lui a fait retirer son aide, en dépit de ses promesses, et lui a fait accepter une paix honteuse. » Partout le portrait de l’Empereur avait été enlevé et remplacé par celui d’Orsini. On avait cru prudent d’envoyer la brigade Baillencourt pour protéger la sécurité de l’Empereur.


VII

Cavour, de retour à Turin, vieilli de plusieurs années en quelques heures, continua à récriminer, à se désespérer ; il rugissait de colère au nom de l’Empereur : « Il a voulu faire le cadeau de noces, la Lombardie ; maintenant il s’arrête. — A-t-il cédé les forteresses ? lui demande-t-on. — Les forteresses ? il aurait cédé bien davantage. Il aurait donné Milan, Turin… Il faisait chaud, il était fatigué… »

Kossuth était un autre désespéré. Il préparait la formation de la légion hongroise, voyait déjà une armée française entrant en Hongrie au milieu des acclamations du peuple, quand Jérôme Piétri entra chez lui s’écriant : « Malheur ! malheur sur nous ! C’est fini ! tout est perdu ! Lisez ! » — Et il lui tendit une lettre de l’Empereur, que le pauvre grand patriote lut en sanglotant.

Piétri ne se sentit pas à son aise quand, à l’occasion des pourparlers sur la dissolution honorable de la légion hongroise, il se retrouva entre ces deux colères. « On affirme, dit-il à Cavour