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la poudre, puis de la baïonnette. Dans ces données, l’ancien système d’approvisionnemens devenait insuffisant : il fallait le transformer comme les Piémontais avaient eu déjà l’intelligence de le faire, de manière que les opérations ne restassent pas subordonnées aux impossibilités de l’intendance. Le fonctionnement des services administratifs devait être facilité et assuré par une large décentralisation. Il ne fallait plus attendre le début des hostilités pour mettre en état d’agir les corps spéciaux et les services auxiliaires ; surtout il était urgent d’adopter un système de mobilisation qui permit de passer tout à coup, sans une attente plus ou moins longue et de dangereuses confusions, du pied de paix au pied de guerre, sans que l’on fût réduit à ne tirer que de petites armées d’effectifs très considérables.

Nous n’étions pas, sous ces rapports, plus arriérés alors que qui que ce fût. Les Autrichiens venaient de le démontrer ; ce n’était pas moins évident pour les Prussiens. Ils n’avaient pas combattu, mais ils avaient mobilisé, concentré, mis leur armée en attitude de combat, et ces opérations avaient dénoté dans leur mécanisme des imperfections semblables aux nôtres.

En Prusse, comme en France, existaient des fanfarons qui, ne voyant que les apparences, ne croyaient aucun changement nécessaire. Parmi ces derniers, en Prusse, se trouvait ce jeune officier d’origine danoise, Moltke, ce taciturne, qu’on avait vu à Compiègne avec le Régent, déjà distingué par son application, son mérite, sa dextérité à lever les plans et reconnaître les terrains. À l’entendre, l’armée prussienne était toujours prête ; grâce à elle, le Roi tenait entre ses mains les destinées de l’Europe ; Frédéric le Grand n’avait jamais eu de pareilles troupes ; la mobilisation de 1851, comme celle de 1859, ne lui avait inspiré aucune inquiétude[1]. Mais, dans un coin, un autre jeune officier à peu près du même âge, de race purement prussienne, d’un esprit pénétrant, clair et ferme, Roon, observait, notait les défectuosités des institutions militaires de son pays. La récente mobilisation l’avait mécontenté au point de s’écrier « qu’étant donnée la constitution actuelle de l’armée, on aurait bien raison de ne pas vouloir la guerre[2]. » Il signalait au Régent, avec la passion de

  1. Lettres à sa mère du 24 décembre 1838 : — 13 février 1831. — À son frère Adolphe du 23 février 1831 ; — 25 févier 1851 ; — juillet 1859.
  2. Roon, Mémoires, t. I, p. 344.