Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se réjouir ? Il se pourrait bien que Bonaparte sacrifiât Defermon à la haine publique, sans dicter une autre conduite à son successeur. On cite de Defermon un trait remarquable : Collot, un des plus honnêtes de nos parvenus, se trouve en réclamation avec le Gouvernement. Il a prêté un million pour payer les dettes de Joseph Bonaparte, et il voudrait bien être payé. Dans une conférence qu’il eut ad hoc avec Defermon, le liquidateur lui dit : « Mais vous n’étiez pas très riche avant d’entrer dans les affaires ? — Non, répondit Collot. — À quoi pouvait monter votre patrimoine ? — Mais à 60 ou 80 000 francs. — Eh bien, il vous en reste à présent davantage ? — Sans doute. — Eh ! de quoi vous plaignez-vous ? » D’après ce principe, nous ne devons pas désespérer de voir fixer un taux de fortune, au delà duquel on ne pourra rien réclamer de ce que le gouvernement devra.

………………………..

C’est sans doute parce que Charlemagne établit l’Université que Bonaparte veut rétablir les Académies. Le travail est tout fait et doit être présenté à sa signature. Nous aurons quatre Académies, qui porteront leurs anciens noms. L’Académie française recouvrera sa préséance ; c’est la seule où siégeront les trois Consuls. Bonaparte sera aussi de celle des Sciences ; Cambacérès et Le Brun de celle des Inscriptions. On fait entrer dans l’Académie des Conseillers d’État, des Sénateurs, des Tribuns, mais on n’y voit pas encore de législateurs, sans doute parce qu’on ne veut pas déroger à la Constitution qui les condamne au silence.

On cite, parmi les gens de lettres nommés académiciens, Dureau de la Malle, traducteur de Tacite, et Lacretelle aîné. Celui-ci, à la vérité, est le premier sur la liste. On y avait mis d’abord un certain Lefèvre, auteur de Zuma, mais un indiscret rappela aux commissaires une lettre de ce Lefèvre à Mme de Montesson, qui lui a fait fermer la porte. C’est par Mme de Montesson que Lefèvre avait été protégé et produit dans le monde, et, fidèle à la reconnaissance révolutionnaire, il lui écrivit : « Tu m’as fait du bien, mais je suis bien aise de te prévenir que, depuis, la Révolution nous a rendus tous égaux ; je me moque de toi… » Les commissaires de l’Académie ont déclaré que ce style ne pouvait y être adopté, et on a substitué à l’auteur de Zuma l’honnête Lacretelle, qui fera, tant qu’on voudra, des tragédies en quinze ou vingt actes, mais qui n’écrira jamais rien de pareil. Lorsqu’on a dit