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à cet original de Lacretelle qu’il était nommé de l’Académie, il a répondu que, sans cette nouvelle, il allait en écrire au Premier Consul. C’est ce qu’il a fait toutes les fois qu’il a désiré quelque chose, car il s’est toujours cru propre à tout. Lorsqu’on lui en parle, il répond à ses amis avec une naïveté précieuse : « Que voulez-vous ? il faut bien que l’on me place ; je me suis donné à la Révolution, c’est à elle à me nourrir. » Il est probable que M. Suard sera secrétaire perpétuel de l’Académie française, avec un traitement de deux mille écus. Ce choix aura sans doute l’approbation de tout ce qui ne tient pas à la poésie révolutionnaire, aux Arnault, Chénier, Andrieux, Le Brun et consorts… Malgré cela, on doute encore que l’on puisse rétablir une véritable Académie française ; et que pourra-t-on rétablir, tant que la base essentielle nous manquera ?…


Paris, le 18 janvier 1803.

Les deux anecdotes suivantes montreront jusqu’où vont, à la fois, et l’excès et la petitesse de la haine de Bonaparte contre l’Angleterre.

Pour éviter toute contestation de préséance, les rédacteurs de l’Almanach national avaient cru devoir y ranger les puissances européennes selon l’ordre alphabétique ; il résultait de cette disposition que l’Angleterre s’y trouvait placée au premier rang. À la vue d’un pareil scandale, la bile du Premier Consul s’est échauffée ; il a éclaté en reproches et en menaces, et peu s’en est fallu que, cédant à sa juste indignation, il ne condamnât sur-le-champ l’alphabet à une réforme sévère, comme infecté d’anglomanie et tendant à la propager et à la perpétuer. Heureusement, le mot Grande-Bretagne est venu s’offrir à la pensée des éditeurs de l’almanach et leur a fourni le moyen de réparer leur faute. L’Angleterre a été reléguée aussitôt de l’A au G, et cette petite humiliation a un peu apaisé le courroux patriotique du Maître.

L’autre aventure n’est pas moins piquante. À son dernier voyage en Normandie, pendant qu’il traversait le pays de Caux, Chaptal, qui se trouvait à ses côtés, lui faisait admirer ce pays riant et fertile, la richesse du sol, l’élégance des maisons qui embellissaient la campagne, et ces magnifiques jardins anglais que la nature elle-même y avait créés de toutes parts. « Qu’appelez-vous jardins anglais ? s’écria vivement Bonaparte. Ne savez-vous pas que cette manière de distribuer les jardins nous vient