Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus extravagante et la plus désordonnée. Le dénouement arrive parce qu’il en faut un, mais le spectateur s’en va avec la conviction que tout sera bientôt à recommencer.

Le premier homme politique que M. le Président de la République a fait appeler est M. Poincaré. Tout le monde a applaudi et s’est montré rassuré. M. Poincaré a depuis quelque temps affecté de se tenir en dehors de la scène politique, et de se consacrer d’une manière presque exclusive à sa profession d’avocat. C’est un jeu dangereux et qu’il ne faudrait pas conseiller à tout le monde, mais qui, quelquefois, réussit aux forts. Il avait réussi à M. Poincaré. Sa situation personnelle, loin de diminuer, avait plutôt grandi à la suite de cette éclipse volontaire. On savait d’ailleurs qu’il n’avait pas perdu son temps au Palais de Justice, et qu’il s’y était fait rapidement une place importante comme au Palais-Bourbon. Le succès est toujours bien vu, et, quand il se produit sur un théâtre, il sert ensuite sur un autre. La rentrée de M. Poincaré était donc escomptée avec faveur. On appréciait son talent, on estimait son caractère. Enfin, parmi les hommes de sa génération et, si on nous permet le mot, de sa promotion politique, on s’accordait à reconnaître qu’il avait occupé le premier rang, et à dire qu’il le reprendrait quand il voudrait. N’a-t-il pas voulu le reprendre encore ? Comment le savoir ? Ayant accepté la tâche de faire un ministère, il faut bien croire qu’il s’y est appliqué de son mieux ; mais, en fait, il lui aurait été difficile de s’y prendre autrement s’il n’avait pas voulu réussir. Ceux qui, du dehors, assistaient à ses opérations, passaient d’un étonnement à un autre avec une rapidité telle qu’ils avaient de la peine à respirer. Mais ces premiers exercices ont eu pour avantage de les préparer à ce qu’ils devaient voir par la suite. De plus fort en plus fort, suivant le vieux dicton ! Les radicaux ont paru d’abord accueillir avec sympathie la combinaison de M. Poincaré, et on se l’explique sans peine. M. Poincaré se proposait de la faire reposer, comme on dit dans le vocabulaire du jour, sur la base d’une très large union républicaine. Ne s’attendant pas à cela, ils en ont été fort satisfaits ; mais, comme l’appétit vient même avant d’avoir mangé et se développe en proportion du dîner qu’on voit déjà servi et offert, les exigences radicales se sont en vingt-quatre heures prodigieusement accrues.

M. Poincaré a un ami personnel et un ami politique, qui est d’ailleurs un homme fort distingué, M. Barthou : il a déclaré dès le premier moment qu’il ne ferait pas de ministère sans lui. Il lui fallait M. Barthou à tout prix ; malheureusement, les radicaux n’en voulaient à aucun prix. Les deux prétentions étaient difficiles à concilier.