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manièrent l’épée, en duel et à la guerre ; toutes cavalcadaient. Elles étaient belles personnes, courageuses, et elles trouvaient le moyen de ne pas perdre leur grâce à ces jeux virils ; jamais femmes, au contraire, ne furent plus femmes. Les hommes les adoraient. Ils tremblaient qu’on ne les leur gâtât, et ce fut le motif de leur résistance opiniâtre aux idées qui commençaient à se faire jour dans la société féminine sur l’éducation des filles. Je ne peux pas trouver que les hommes eussent raison, mais je les comprends ; la belle dame du temps de Louis XIII était une jolie œuvre d’art.

Il se trouva que la Grande Mademoiselle vint en âge d’apprendre au moment même où la question de l’instruction des filles se posait dans les cercles polis. Sa gouvernante, à qui revenait le soin de diriger son éducation, se trouva pressée entre les défenseurs de l’ancienne ignorance et les premiers partisans des « clartés de tout. » Mme de Saint-Georges n’eut pas d’hésitation. Elle s’en tint aux vieux usages, et la plus grande princesse de France sut tout juste lire et écrire. Quelques explications sont nécessaires pour justifier, dans la mesure où elle peut l’être, une mesure aussi radicale.


V

Les Femmes savantes auraient pu être écrites sous Richelieu. Philaminte n’avait pas attendu Molière pour protester contre l’ignorance où les mœurs et les préjugés maintenaient son sexe. A l’apparition de la pièce, en 1672, il y avait plus d’un demi-siècle que l’on disputait en vain dans les ruelles à la mode sur ce qu’une femme doit ou ne doit pas savoir. Il aurait fallu s’entendre d’abord sur ce qu’elle doit être au foyer domestique et dans les relations sociales, et l’on commençait justement à ne plus s’entendre là-dessus. Les hommes étaient presque unanimes à ne pas vouloir de changemens. Les nobles avaient des maîtresses exquises et d’incomparables alliées politiques ; les bourgeois avaient d’excellentes ménagères ; et il leur semblait à tous que l’instruction serait inutile aux unes comme aux autres. La majorité des femmes se rangeait à cet avis. La minorité entrevoyait des vies ou plus sérieuses, ou plus intelligentes, pour lesquelles l’ignorance absolue était un obstacle ; mais elle trouvait les hommes butés contre l’idée de faire faire des études à leurs