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dans ces milieux populaires où se prépare et desquels se dégage, à son heure, le génie des grands artistes originaux. Tout autour de nous, le niveau s’élève ainsi, d’année en année. Des cris d’alarme ont déjà été poussés par ceux qui ont été étudier sur place ces institutions, au delà de la Manche et du Rhin. Ce n’est pas sans éprouver de patriotiques inquiétudes qu’ils en ont admiré l’organisation et les fruits. Nous nous défendons encore, grâce à nos dons naturels et aux bienfaits d’une longue culture, d’une tradition plusieurs fois séculaire ; mais nous avons conscience d’être serrés de près, comme dans une course où le cheval qui tient la tête sent à ses flancs l’haleine du rival qui court auprès de lui et qui bande tous ses muscles pour le dépasser.

Ce qu’il faut tout d’abord, pour que nous ne soyons pas vaincus dans cette lutte, c’est que, dans toutes nos écoles, et particulièrement dans les écoles spéciales, le dessin soit enseigné par les meilleures méthodes ; mais n’importe-t-il pas aussi de faire l’éducation des yeux et du goût des fils de notre bourgeoisie ? C’est de leurs rangs que sortiront les chefs d’industrie qui dirigeront les travaux de nos ateliers, les critiques qui apprécieront les ouvrages présentés au public et les riches amateurs qui, par leurs achats, conduiront en quelque sorte la main des artistes, leur montreront les voies où ils devront s’engager pour arriver au succès et à la fortune. A divers titres, tous ces hommes, grands et petits industriels, journalistes, connaisseurs ou se disant tels, simples curieux qui fréquentent les salons de peinture, auront leur part d’influence sur la marche de l’art français ; or, n’est-on pas fondé à penser que cette influence sera plus éclairée et plus efficace, si tous ceux qui l’exercent ont eu de bonne heure l’esprit tourné vers les choses de l’art, s’ils possèdent tout au moins les élémens de l’histoire des arts du dessin ? Ne seront-ils point, par là même, plus en mesure de se faire une juste idée des rapports que ces différens arts soutiennent entre eux, des conditions qui sont les plus favorables à l’éclosion de l’œuvre plastique et des caractères qu’elle doit réunir pour avoir chance de durer ? Informés ainsi du passé, admirateurs intelligens de ces grands ensembles que l’art a créés chez les peuples et dans les siècles qui ont su le mieux traduire leur pensée par des formes d’une beauté souveraine, ils risqueront moins de se laisser prendre et égarer par toutes les affectations, par les pastiches adroits qui masquent mal une pauvreté native, par les trompeuses habiletés