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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/323

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d’une exécution brillante qui tourne à la routine, par les excentricités prétentieuses des faiseurs d’embarras qui visent surtout à étonner le passant.

Nos artistes sont pleins de talent. Beaucoup d’entre eux possèdent des qualités merveilleuses d’imagination et de facture ; mais on ne peut dire que, malgré leurs efforts, ils aient encore réussi à inventer des dispositions et des types qui répondent aux besoins, aux sentimens et aux idées de la société contemporaine. Sous l’aiguillon de ce désir qui les tourmente, ils s’agitent ; ils changent de direction tous les quinze ou vingt ans ; ils s’exposent à paraître avoir plus d’ambition que de puissance créatrice, à se dépenser et à s’éparpiller en pointes aventureuses poussées dans tous les sens. Pour ramasser et discipliner toutes ces forces, dont une partie se consume en de vains caprices, que ne peut-on attendre d’une opinion mieux avertie et plus instruite ? Par ses sévérités ou tout au moins par son indifférence, elle déconseillerait le charlatanisme, tandis que, par ses sympathies hautement déclarées, dont elle saurait rendre raison, elle encouragerait toutes les tentatives loyales ; elle guiderait et elle soutiendrait tous ceux en qui elle reconnaîtrait les fidèles continuateurs de ces maîtres français qui, depuis nos imagiers du XIIIe siècle, se sont pieusement inspirés de la nature qu’ils étudiaient avec une sincérité passionnée et n’ont jamais conçu la beauté sans l’expression, n’ont modelé la forme que pour la rendre apte à traduire un sentiment ou une idée, à donner une vive représentation d’un mode singulier de la vie ou de l’originalité d’un caractère.

Les pouvoirs publics comprendront-ils l’importance et l’urgence des mesures dont j’ai exposé l’économie ? Se résoudront- ils à tenter de réaliser ce programme et consentiront-ils aux dépenses qu’il implique ? ou bien n’en obtiendra-t-on, pour le moment, que de bonnes paroles, des promesses sans échéance fixe, des excuses dilatoires ? je l’ignore ; mais j’ai cru. en leur adressant cet appel, remplir un devoir de reconnaissance envers des études qui ont fait le charme de ma vie, et je ne pense d’ailleurs pas me tromper en affirmant que les destinées de notre art national et l’honneur de la France sont intéressés au succès de la réforme dont j’ai plaidé la cause.


GEORGES PERROT.