Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des enfans hiératiques. Les Chinois eux-mêmes n’en savent plus l’origine, mais ils les aiment parce qu’elles excitent leurs nerfs.

A mesure que vous gravissez les pentes de la montagne, le fracas s’apaise. Vous entrez dans la zone des écoles et des temples, des demeures tranquilles et des terrasses en fleurs. Quartier de Los Remedios, où vivent les Portugais et les proscrits de Manille, jardins de palmiers et de cactus qui semblent jaillir de la pierre, et dont la richesse revêt le silence d’alentour d’une beauté chaude et sombre, escaliers de villas dans les pins et les figuiers, remparts de forteresse, c’est au lever du soleil et au déclin du jour qu’il faut les voir et contempler la sérénité de ce magnifique labeur. Montez encore : une route conduit au sommet de la montagne, la route de l’aqueduc qui suit l’ondulation des crêtes, et se prolonge pendant près de deux lieues jusqu’au grand réservoir. Vous avez, à votre gauche et sous vos pieds, la ville, la baie où les vaisseaux sont comme des mouches prises au piège, les noirs entrepôts de Kowlong, et, derrière, la blanche mosquée des troupes musulmanes ; à votre droite, des paysages solitaires, des pentes douces, des vallons rougis par l’automne, des carrières de granit où les Chinois travaillent, et des havres de pêcheurs. Autour de vous, le bruit des sources captées et des eaux bouillonnantes. Partout, l’image d’un ordre souverain qui ne néglige aucun détail et fait d’un chemin de montagne une route hospitalière ; partout, la marque d’une grandeur consciente et respectueuse d’elle-même, mesurée dans ses efforts et fondant sur l’avenir. Entouré de cimes vertes et pierreuses, au-dessus d’une vallée qui s’écroule en ravin, le gigantesque réservoir découvre ses profondeurs d’émeraude et sa splendeur romaine. Devant cette face d’orgueil et de sécurité, dont les nuages du ciel ne troublent pas la transparence, je ne sais quelle mélancolie m’a serré le cœur.

La ville escaladera bientôt les hauteurs et viendra boire elle-même à la coupe éblouissante. Elle a déjà conquis le rivage et presque atteint, par des chemins ombragés, le vallon qu’elle avait choisi pour le repos de ses morts. On leur a fait un cimetière joyeux, plus beau qu’un jardin public. Bosquets, corbeilles de fleurs, pelouses, rocailles et jets d’eau, tout a été mis en œuvre afin d’embellir leur suprême villégiature ; et, si le goût des sports vit encore dans les tombes anglaises, les défunts peuvent entendre de leurs boulingrins funèbres les galops du champ de course.