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sont à la fois les protes et les fournisseurs et dont ils fondent eux-mêmes les caractères chinois, annamites et thibétains. C’est de là que partent sur la rose des vents les mots d’amour et les douces paraboles de l’Évangile. Certes, à les entendre rire et plaisanter, on n’eût point dit que ces hommes avaient mené l’existence la plus dure, consommé de merveilleux sacrifices, risqué la torture et la mort. Et cependant ils venaient de tous les coins de l’Asie où il plut à Dieu d’éprouver ses serviteurs. L’un avait piétiné trente ans sur la route illusoire de Lhassa ; l’autre avait vécu des éternités de solitude au centre de la Chine ; celui-ci, tanné par le soleil de l’Inde, avait traversé des routes rouges de feu ; celui-là descendait de la Mandchourie glacée ; d’autres avaient parcouru le Cambodge et le Tonkin. Leurs soutanes usées blanchissaient aux coutures. Ils avaient marché de l’aube jusqu’à la nuit, foulé les plus anciennes ruines du genre humain, reconnu sous ses masques divers l’immuable détresse du vieil Adam, pesé la poussière de ces idoles où des millions d’âmes sans amour adorent leur épouvante, et ils se retrouvaient, au déclin de la vie, gais et simples, frais encore, toujours vaillans avec sérénité. ils me dirent en riant : « Allons voir notre cimetière. » C’est ainsi qu’ils appellent leur Sanatorium. Mgr Ozouf, actuellement archevêque de Tokio, du temps qu’il était procureur à Hong-Kong, y fit sculpter une chapelle d’après des modèles gothiques de la Sainte-Chapelle. Ceux que la fièvre, la dysenterie, les maladies de foie, la mort prochaine arrachent à leur mission, peuvent, au seuil même de la tombe, prier dans un oratoire, où des Chinois païens et fumeurs d’opium ont réalisé des copies exquises du plus pur joyau de leur foi natale. Ils peuvent aussi, tous les quinze jours, apercevoir, à travers les jardins touffus qui plongent sur la grève, le pavillon français des Messageries Maritimes.

Nous nous entretînmes des Chinois et des misères de l’apostolat, non point de ses misères matérielles qui sont peu de chose, ni de ses périls qui ne sont rien, mais de l’énergie quotidienne qu’il réclame, des perpétuels et menus sacrifices qu’il impose, des déceptions qu’il engendre, de l’habitude souvent douloureuse, où il contraint les âmes, de n’attendre que d’elles seules des encouragemens et des conseils. Et comme je leur demandais si l’enthousiasme conquérant des jeunes missionnaires ne leur ménageait pas de cruelles désillusions, l’un d’eux me répondit : « L’enthousiasme ? On en a besoin pour partir. Une fois arrivé,