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idées lui viennent d’autrui, mais c’est bien elle qui leur donne cet accent de généreuse émotion. De cette rencontre vont sortir les premières et les plus ardentes « revendications » féminines.

Le romantisme prêche la libération de l’individu. Affranchi de toutes les contraintes qui ont pendant si longtemps gêné son expansion, l’individu développera en leur entier ces énergies qu’on lui enseignait jadis à réprimer afin de les subordonner à l’intérêt général. Il se pose lui seul en face de la communauté. Il oppose aux lois que celle-ci a édictées les révoltes de son instinct. Par un autre aspect du mouvement, le romantisme est un appel furieux à la jouissance immédiate. Un Rousseau, un Chateaubriand, un Byron sont des âmes tourmentées de désirs. Leurs tristesses, leurs langueurs, leurs déclamations contre la destinée ne viennent que de leur sensibilité exaspérée, incapable de se satisfaire et condamnée à rester inassouvie. Elle aussi, la femme, est un individu et comme tel réclame sa mise en liberté. Elle aussi, comme toute créature humaine, elle pousse le même appel désespéré vers le bonheur. Et puisque la société a été organisée par les hommes en vue de leur plus grand bien, c’est donc que la libération pour la femme consiste à se comporter en toute occasion comme un homme.

George Sand aurait pu se contenter de prêcher la théorie et de mettre, ainsi que faisait Victor Hugo, tout son romantisme dans son œuvre. Elle est femme, elle va prêcher d’exemple. Elle s’habille en homme ; c’était le plus facile. Elle fume la pipe ; de fumer la pipe ce n’est en soi rien de très remarquable, c’était dans l’espèce tout un pro gramme. Elle parle le langage des ateliers, mène la vie d’artiste et jure comme un charretier, l’artiste et le charretier étant chacun à sa manière éminemment hommes. Elle gagne sa vie, comme un homme, en travaillant ; et son indépendance lui est d’autant plus chère qu’elle lui est garantie par son labeur personnel. Enfin c’est par rapport à l’amour qu’éclate le plus violemment l’injustice des idées que nous avons, nous autres hommes, accréditées. Nous faisons de la fidélité un devoir strict pour la femme, et pour l’homme rien qu’une duperie. Nous maudissons la perfidie de la femme infidèle et nous jetons l’anathème au sexe malade et impur ; nous pourtant, avec la sérénité qu’on apporte dans l’exercice d’un droit, nous multiplions nos expériences amoureuses. Nous avons le droit de chercher, le droit de savoir ; hélas ! de savoir quoi ? Cette prérogative, comme les autres prérogatives masculines, George Sand nous l’envie et nous l’emprunte. Justement le romantisme vient de mettre Don Juan au nombre de ses héros, et il l’a au préalable dûment métamorphosé en je ne sais quel sombre chercheur