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les courses libres sur les plages de cette mer bleue, à la frange d’argent, qu’il a célébrée avec un sentiment de poésie si intense, les visites pieuses à l’église du village, et les fêtes de la sainte Vierge, aux jours radieux du printemps. Il avait pris là cet amour passionné de la nature que l’âge ni les affaires n’ont pu, dans la suite, jamais effacer.

Une autre influence eut dans l’éducation de Castelar une grande part ; ce fut la religion catholique. Elle a régné d’un étonnant empire sur son enfance et même sur sa jeunesse. Une piété fervente se mêlait à sa vie. « Non, mon ami, écrivait-il longtemps après, de Madrid, à un compagnon de ses premières années, non, je n’ai pas perdu ici notre foi ; je la conserve comme un parfum de l’âme. Je me souviens de ces jours heureux où, le cœur plein d’allégresse et de chères illusions, nous entrions dans le sanctuaire que les laboureurs décoraient des trésors de la campagne. Après avoir prié, nous sentions couler plus doucement notre vie, cette vie pure comme le ciel qui étincelait sur nos têtes, aussi souriante que la mer aplanie qui venait mourir à nos pieds. Je me souviens encore que nos âmes n’étaient point, en nous ; elles volaient comme les papillons sur les fleurs, ou, d’un coup d’aile, montaient aux cieux. Quand nous revenions de nos jeux innocens, la cloche qui saluait la fin du jour nous réunissait tous en une mystique oraison, et, dans l’étoile du soir qui brillait seule au firmament, il nous semblait voir apparaître la sainte image de Marie, telle que l’offraient nos songes. Cette tendre image, que nos mères invoquaient, fermait nos yeux et recueillait avec amour nos prières. Oui, notre vie était purement religieuse. Nous adorions la religion dans nos demeures, dans nos fêtes ; nous la lisions gravée au cœur de tous les êtres que nous aimions ; nous la voyions pratiquée par les ouvriers des champs, qui, après le travail de la journée, ayant serré les outils du labour et rentré les troupeaux, s’agenouillaient au seuil des cabanes[1]... »

Je rencontre ainsi, à chaque pas, dans ses livres, des peintures exquises de cette humble vallée où son enfance passa comme un beau songe parmi des êtres simples et bons ; cher nid d’oiseau, doux et tiède, Arcadie bienheureuse où il avait vécu si près de la nature et de Dieu ! A trente années de là, visitant le tombeau de

  1. La Formula del Progreso ; Madrid, 1870.