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I

Emilio Castelar était né à Cadix le 8 septembre 1832. Sa famille était d’Alicante, où son père, D. Manuel, avait exercé la profession de courtier de commerce ; sa mère, Da Maria-Antonia Ripoll, était fille d’un légiste de la même ville. Il descendait ainsi d’une lignée bourgeoise ; par la filiation, par l’éducation, il appartenait à ce qu’on nomme la classe moyenne, et il l’était par les origines ; par la race, il resta toujours un de ces Espagnols du Midi brillans, allègres, primesautiers, improvisateurs étincelans et intarissables, en tout si différens du grave et taciturne hidalgo des Castilles ! D. Manuel venait de se marier lorsqu’éclata la grande insurrection de 1820. Il s’y jeta avec passion, défenseur exalté des libertés publiques, et bientôt, quand les absolutistes eurent repris le pouvoir, il encourut leurs atroces vengeances. Condamné à la peine de la horca, il dut s’enfuir en Angleterre. Il y vécut neuf ans, loin des siens, trop pauvre pour leur faire partager son exil. Rentré en Espagne, il alla s’établir à Cadix avec sa femme et sa fille, Da Concha, cette sœur aînée de Castelar, qui lui fut comme une seconde mère, associée à sa vie, gardienne de son foyer. D. Manuel avait, nous dit son fils, un esprit cultivé, curieux d’économie politique et de philosophie[1]. Fort estimé, et bien dans ses affaires, il destinait à une carrière libérale l’enfant qui lui était né après son retour de l’exil ; mais, en 1839, il mourut soudain, laissant sa veuve dans une condition très précaire. Heureusement Mme Castelar trouva un asile auprès d’une sœur, à Elda, pittoresque village de la province d’Alicante, tout près des bords de la Méditerranée, non loin de Elche et de ses palmiers africains, sous un ciel qui a l’ardeur et la splendeur du ciel de l’Orient. Il faut noter ces premières influences ; elles ont agi profondément sur l’âme et sur le talent même de l’homme que nous étudions. Il a connu là, au début de l’existence, ces deux bonheurs suprêmes de l’enfant : la tendresse infinie d’une mère et l’ineffable joie de la vie champêtre. Bien des années après, Emilio Castelar s’est plu à retracer dans ses écrits, dans ses leçons de l’Athénée, et jusqu’à la tribune des Cortès, les beaux et innocens spectacles qui avaient ému jadis son cœur si fortement :

  1. J’emprunte ces détails, et d’autres qui figurent dans la suite de cette étude, à une autobiographie inédite de Castelar, dont j’ai le texte écrit de sa main.