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oriental, asiatique, y déborde. L’œuvre entière est écrite dans un genre sinon faux, à tout le moins périlleux, et fertile en naufrages ; on y échoue parfois avec quelque grandeur, mais on y échoue ; ce genre s’appelle la prose poétique.

Enfin, l’année suivante, il reparut à l’Athénée. L’ombre de ce deuil, en attristant son éloquence, l’avait tempérée. Il avait aussi beaucoup étudié et médité durant cette période de retraite. Le fait est que sa pensée venait de traverser, comme son âme, une crise. De là le contraste que présentent les dernières leçons avec les premières. « Ce travail, disait-il, se ressent des circonstances où je l’ai entrepris et de celles où je le termine. Commencé dans des jours d’enthousiasme, il s’achève dans des jours de réflexion. C’est pourquoi le début et la fin, sans se contredire absolument, n’offrent cependant pas une harmonie parfaite, surtout dans les questions les plus hautes... » Il avait commencé ce cours en proclamant « l’origine divine de la religion chrétienne ; » il le terminait en prêchant la séparation de l’Eglise et de l’Etat ! Les catholiques étaient devenus ses adversaires, et il ne voyait plus dans cette Eglise qui naguère régnait sur sa conscience qu’un péril social, ou du moins un menaçant problème, qu’il fallait résoudre par la liberté. C’est ce principe de séparation des deux puissances qu’il soutenait dans les Cartas a un Obispo (lettres à l’évêque de Tarragone)[1].

Ces Lettres avaient paru dans la Democracia, un journal que venait de fonder Castelar ; car il était redevenu journaliste, à supposer qu’il eût jamais cessé de l’être ; il avait dit adieu aux paisibles études, et s’était jeté de nouveau dans la mêlée, cette fois à corps perdu ! Nous abordons un épisode capital de sa carrière. Nous allons le voir en pleine bataille, chargeant à l’arme blanche, dans un assaut furieux, l’ennemi qu’il déteste de toutes les puissances de son âme exaltée ; lutte sans merci où il sera vaincu ; mais il aura laissé dans la blessure le trait mortel ! Ce lettré, cet idéaliste, cet honnête homme de haute et fine culture en viendra à remuer les pavés de l’émeute, et sera condamné à mort, comme un assassin ! — Il le fut à la vérité en bonne compagnie, en même temps que son ami Cristino Martos, qui était, il y a quelques années, un des premiers personnages de l’Etat, et que M. Sagasta, qui devait être un des principaux ministres

  1. Les Cartas a un Obispo se trouvent dans le tome IV de La Civilizacion.