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de l’Europe. Depuis nombre d’années déjà, on vit dans une paix plus apparente que réelle. Obsédés de mutuelles suspicions, presque tous les peuples poussent à l’envi leurs préparatifs de guerre... De là d’énormes dépenses et l’épuisement du trésor public, de là encore une atteinte fatale portée à la richesse des nations, comme à la fortune privée, et on en est au point que l’on ne peut porter plus longtemps les charges de cette paix armée. Serait-ce donc là l’état naturel de la société ? Or, impossible de sortir de cette crise et d’entrer dans une ère de paix véritable si ce n’est par l’intervention bienfaisante de Jésus-Christ. »

C’est à titre de vicaire du Christ qu’en 1885 il accordait à l’Espagne catholique et à l’Allemagne protestante le concours de son « intervention bienfaisante ; » et, dans la suite de son long pontificat, l’histoire de l’arbitrage des îles Carolines est l’une des pages qu’il préfère relire. « Il ne peut avoir nullement échappé à votre perspicacité, écrivait-il au chancelier de Bismarck le 31 décembre 1885, de combien de moyens dispose le pouvoir dont nous sommes revêtu, pour le maintien de l’ordre politique et social, surtout si ce pouvoir jouit, sans entraves, de toute sa liberté d’action ; » et M. de Bismarck déclarait, de son côté, avoir été « aussi guidé par cette pensée, que rien ne répond mieux à la nature et à l’esprit du pontificat romain que la pratique des œuvres de paix. » On vit, dans la suite, le Chili et l’Argentine, et tout dernièrement Haïti et Saint-Domingue, recourir aux bons offices du Saint-Siège pour trancher sans bagarre d’importans litiges ; et l’opinion européenne eût volontiers accepté, l’année dernière, que la voix de Léon XIII, planant par-dessus l’Atlantique, réglât les difficultés entre la plus forte puissance du continent américain et l’une des nations les plus dignes de respect de l’Ancien Monde. Il n’est pas jusqu’à l’idée même d’une limitation des armemens qui n’ait, à plusieurs reprises, hanté la pensée du Pape : recevant en 1893, à l’occasion de son jubilé épiscopal, le prince Lobanoff, envoyé extraordinaire du Tsar, il se plaisait à lui indiquer « combien il serait urgent, et combien avantageux au bien des princes et des peuples, de reconstruire, sur les bases solides de la sagesse chrétienne, la société bouleversée, et de faire converger à cette fin, par un amical accord, les grandes forces morales et politiques qui sont l’axe du monde, afin que la paix fût ainsi assurée sans qu’il fût besoin de ruineux préparatifs de guerre. » Il put donc paraître à Léon XIII, l’automne