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constante du métier. En été, une longue marche en plein soleil, avec deux « complets » de flanelle l’un sur l’autre, procure la transpiration nécessaire ; dans les fraîches journées de printemps, il n’est d’efficace que le Hammam et la diète. Du jeudi au dimanche, tel homme doit perdre dix livres. Dans l’après-midi du samedi débarque, de la gare du Nord, une bande de jockeys qui ont trois ou quatre livres « à tirer » et vont tranquillement prendre leur bain turc. S’il le faut, ils ne mangeront pas jusqu’au lendemain après la course ; et ne pas manger n’est rien, disent-ils, « l’ennuyeux est de ne pas boire. » Aussi, pour ne pas aiguiser la soif, s’abstiennent-ils encore de fumer.

Il est différentes manières de monter, comme il est diverses façons de jouer du piano, même parmi les virtuoses. L’Américain Sloane, très en faveur en Angleterre et qui courut l’an dernier, à Paris, dans le Prix du Conseil municipal, en a inauguré une nouvelle, dont il obtient, au dire de certains, des résultats surprenans. Plié en deux, les pieds en avant, horizontaux à l’encolure, il touche presque la tête de sa monture avec la sienne propre et, se tenant seulement par les rênes, exerce par les étriers une sorte de traction sur l’animal qui, moins gêné dans sa marche, fend l’air avec plus d’aisance.

Il n’est pas, au dire des gentlemen qui en ont tâté, de volupté plus grande que de monter en course, de balayer, de cingler en ouragan la brise, à une vitesse coupant la respiration de qui ne serait pas entraîné. Chacun, dans sa vie, suivant ses occupations et ses facultés, a connu des momens où il s’est senti élevé au-dessus de lui-même ; où, touché d’une étincelle, parcouru d’une secousse électrique, il lui semblait qu’il allait changer d’âme, que son moi s’élargissait, devenait capable de tentatives gigantesques ou d’intelligence surhumaine des choses. Ce sont momens de grandeur et de vision. Ils passent comme l’éclair ; le rideau soulevé retombe, le ciel se recouvre, c’est fini ; l’être se replonge dans l’ignoble vulgarité de la vie. Ce ressort mystérieux que la contemplation d’un tableau, l’audition d’une musique, l’orgie de la pensée solitaire fait jouer ainsi en certaines natures, d’autres en éprouvent l’effet par l’ivresse du mouvement physique, doublée de l’espérance, du formel vouloir de dépasser ses émules.

Cette poésie de l’hippodrome hante fort peu l’esprit du jockey expérimenté. Celui-là s’est d’abord efforcé de « composer sa course » la veille, en lisant son programme sous sa lampe, suivant