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dignement, sauf qu’il avait trop de fiel, et qu’il était trop personnel, trop susceptible, trop irritable[1]. — « Le politicien préféré » de la princesse Augusta, M, de Schleinitz, était aussi un adversaire juré de Manteuffel, « Il avait été ministre plénipotentiaire à Hanovre et, dans ce poste enviable, n’ayant pas déployé un grand zèle, se l’était vu enlever pour raisons de service. Diplomate de carrière, il était habitué au confortable matériel que procure le service diplomatique, et, sans fortune, il en voulait mortellement au chef qui le lui avait ôté[2]. »

Voilà les personnages qui s’agitaient sur la scène du théâtre royal de Berlin ; ils étaient, au jugement de M. de Bismarck, médiocres de stature et d’allures, mais du moins ils étaient vivans, faits de chair et d’os ; c’étaient encore des « personnes naturelles. » Ici, à Francfort, en voici bien d’autres, des fantoches, qui sont de bois et de cire, et dont il démêle les fils, Œdipe tombé dans un guignol. Le moins ridicule est peut-être un des commissaires prussiens, le général de Peucker, qui ne manque ni d’intelligence, ni de science militaire, mais que gâte une singulière manie de tout ce qui est distinction extérieure. Il passe son temps à collectionner, contempler et ranger des décorations ; il n’y a pour lui ni Prusse, ni Autriche, mais seulement des colliers, des cordons, des cravates et des brochettes. Aussi bien a-t-il « enrichi d’un mot le jargon berlinois : lorsqu’on voyait passer dans la rue un monsieur trop chamarré, on disait : Er peuckert, il fait son Peucker[3] ! » Et croyez que ce bon général avait, en nombre, dans la Diète, des émules et des élèves : il était un modèle pour les gens sérieux ; les autres, — à moins que ce ne fussent les mêmes, — se contentaient de valser. A Francfort, tout le monde dansait : le farouche Poméranien fit, à la fin, comme ses collègues, mais par un motif particulier qui n’était ni la galanterie ni le plaisir ; simplement parce qu’il avait remarqué que « la danse est très utile à la santé » et qu’ayant bien sauté plus ou moins en mesure, il dormait, après, à poings fermés. L’ambassadeur français, tout âgé qu’il était de soixante-cinq ans, ouvrait le bal. « C’était M. Marquis de Tallenay, qui, une fois l’Empire proclamé, ne s’appela plus ainsi, mais bien M. le marquis de Tallenay[4]. »

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 67.
  2. Ibid., p. 89.
  3. Ibid., p. 162.
  4. Ibid., p. 109.