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Hesse-Darmstadt fut le seul qui s’abstint, probablement parce qu’il ne se sentait pas de force à rivaliser avec les autres[1]. »

Puis, le « massacre » recommence ; de la pointe aiguisée de sa plume, Bismarck perce ces marionnettes empaillées de cérémonial, qui s’abattent pêle-mêle, Nord sur Midi, et villes libres sur principautés. Diplomatie de petits bouts de néant et diplomates d’opérette, dont il a bien vite assez ! Il n’est pas encore installé à Francfort qu’il écrit déjà : « Nos relations ici consistent dans une défiance et un espionnage mutuels. Si du moins on avait quelque chose à espionner ou à cacher ! Mais ce sont de pures fadaises pour lesquelles ces gens se tourmentent l’esprit. Ces diplomates, qui débitent d’un air d’importance leur bric-à-brac, me semblent dès à présent beaucoup plus ridicules que tel député à la seconde Chambre, se drapant dans le sentiment de sa dignité. S’il ne survient des événemens extérieurs, je sais dès aujourd’hui sur le bout du doigt ce que nous aurons fait dans deux, trois ou cinq ans, et ce que nous pourrions expédier en vingt-quatre heures, si nous voulions être sincères et raisonnables un jour durant. Je n’ai jamais douté que tous ces messieurs ne fissent leur potage à l’eau ; mais un potage si aqueux et si fade qu’il est impossible d’y trouver un œil de graisse ne laisse pas de m’étonner… Je fais des progrès très rapides dans l’art de ne dire rien du tout avec beaucoup de paroles ; j’écris des rapports de plusieurs feuilles, nets et ronds comme des leading articles, et si, après les avoir lus, Manteuffel y comprend goutte, il est plus fort que moi… Personne, pas même le plus méchant des démocrates, ne peut se faire une idée de ce que la diplo matie cache de nullité et de charlatanisme[2]. »

Et sans doute il ne doit y avoir guère plus d’intérêt à rédiger une dépêche sur « le démantèlement de la place forte de Rendsbourg[3], ou « l’attitude du baron de Holzhausen[4], » qu’un « mémoire sur la nécessité pour les communes de contribuer à l’entretien de la digue de Rotzis ; » diplomatie, magistrature et administration se valent, comme futilité et comme ennui : cette administration, cette magistrature et cette diplomatie, « régime de truffes, de paperasses et de grands-croix. » Bismarck n’est pas long à son

  1. Voyez les Mémoires de Bismarck, recueillis par Maurice Husch, t. 1, p. 139-140.
  2. Lettre citée par M. Julian Klaczko, Deux Chanceliers, p. 84-7.
  3. Correspondance diplomatique, t. I. p. 10. — 21 septembre 1852.
  4. Ibid., p. 77. — 3 novembre.