Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/703

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fixes qui ne peuvent suivre l’alcool à la distillation) que le degré de dilution. Le vin est de l’alcool dilué, l’eau-de-vie est de l’alcool concentré. C’est toute la distinction qu’il est permis d’établir entre la liqueur dangereuse, toxique, et la boisson soi-disant hygiénique et naturelle d’où elle provient. A la vérité, cette démarcation entre les deux espèces de liquides n’est pas très profonde. Ce n’est pas une raison pour la méconnaître. Autre chose est pour notre estomac et pour nos autres organes de se trouver en contact avec de l’alcool pur ou avec de l’alcool étendu de dix fois son volume d’eau. Les physiologistes savent bien que, toutes les fois qu’il s’agit des effets d’une substance sur l’organisme, la question de concentration prend une importance capitale. Il y a dans la plupart de nos alimens, dans le thé ou le café que nous buvons sans dommage, dans les viandes dont nous nous nourrissons avec profit, des poisons véritables qui restent sans effet parce qu’ils sont très dilués, mais qui pourraient être très nuisibles s’ils étaient introduits à l’état pur et concentré.

Les hygiénistes et les médecins contemporains s’élèvent donc très vivement contre le préjugé qui fait de l’alcool un poison et du vin ou du cidre une boisson éminemment hygiénique. « Le bon vin, le vin naturel ne fait jamais mal dit le populaire. Il n’y a que les vins frelatés qui soient nuisibles. » Erreur fatale. Sans doute, les sophistications peuvent ajouter quelque chose à la malfaisance de l’alcool lui-même ; elles ne la créent pas. Il ne semble pas que, naturel ou non, l’alcool puisse être jamais hygiénique. Il est seulement permis de dire que les mauvais effets ne s’en font sentir que si la quantité et le degré de concentration dépassent une certaine limite. Pris avec modération, en dilution plus ou moins étendue, il peut être inoffensif en même temps qu’agréable au goût, et produire, en définitive, une excitation qui n’a rien de malfaisant.

Il y a chez les ennemis de l’alcoolisme une tendance à étendre à toute boisson alcoolique le jugement qu’ils prononcent contre l’alcool. C’est une exagération fâcheuse parce qu’elle risque de discréditer leurs efforts méritoires. La nuisance physiologique ne commence réellement qu’au de la d’une certaine limite de dose et de dilution. Cette limite est difficile sans doute à fixer parce qu’elle dépend de chaque sujet et de sa susceptibilité propre. Mais il serait excessif et imprudent d’englober dans la même condamnation, toutes les boissons fermentées sans tenir compte des pré-