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et Serveaux, dans une série d’expériences très bien conduites, ont fixé leur échelle de toxicité. Ils ont constaté que l’acétone est deux fois plus toxique que l’alcool pur (alcool éthylique) ; l’alcool propylique trois fois plus (exactement 3,5) ; l’alcool butylique huit fois plus ; l’aldéhyde éthylique dix fois plus ; l’alcool amylique, — surtout abondant dans les eaux-de-vie de pommes de terre, — vingt fois plus ; le furfurol, 83 fois plus. Seul, parmi ces impuretés, l’alcool méthylique est moins toxique (exactement moitié moins).

On s’est empressé de défigurer ces faits et de leur donner une interprétation abusive. On a déclaré que c’était à la présence de ces produits accessoires qu’était due toute la toxicité des eaux-de-vie. M. Daremberg n’a pas craint de soutenir ce paradoxe que ce qu’il y a de moins dangereux dans les boissons alcooliques c’est l’alcool lui-même, et que, de celui-ci, l’on peut impunément consommer des quantités considérables. Cette opinion flattait trop le préjugé universel pour n’être pas accueillie avec faveur. On a donc admis, dans ces dernières années, que, bien rectifiées, bien débarrassées, par une distillation fractionnée, de leurs alcools de tête, de l’acétone et du furfurol, les eaux-de-vie et les rhums étaient des liqueurs bénignes et innocentes. Rien n’autorise cette conclusion.

La vérité est que la plupart de ces impuretés entrent en si faibles proportions dans la composition des eaux-de-vie qu’on ne saurait les incriminer. Les désordres qui résultent de l’usage de ces boissons sont bien imputables en réalité à l’alcool. On veut, à tort, l’innocenter. Sans doute le furfurol, par exemple, est très toxique ; mais comme Ta fait observer M. Duclaux, il est, en revanche, si peu abondant dans les eaux-de-vie ou les rhums qu’il faudrait absorber cinq cents litres de ces liqueurs pour y trouver dose mortelle de cette substance. Un désespéré ne réussirait donc pas, quelque effort qu’il fît, à s’empoisonner par le furfurol en buvant de l’eau-de-vie. Un buveur confiant y serait exposé moins encore. La même chose est vraie, au degré près, de l’alcool amylique et des autres produits parasites. De telle sorte, qu’en fin de compte, cette terreur des produits accessoires, si dilués dans les eaux-de-vie de consommation, et, par contre, cette confiance dans l’alcool ordinaire qui en forme la masse sont, comme on l’a dit, deux sentimens tout aussi peu justifiés l’un que l’autre.