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des suites inévitables. On va voir ce que ces suites, hélas ! ont été.


V

Il s’en fallait que la république fût pour le plus grand nombre des Espagnols le régime souhaité. Cependant elle fut accueillie, sinon avec enthousiasme, du moins sans défaveur. A cet égard, les choses se passèrent comme autrefois chez nous en février 1848 et après le 4 septembre 1870 : il y eut pour quelque temps une sorte de trêve des partis. A lire les journaux des nuances les plus diverses, on eût dit que tout le monde était devenu républicain. Il est certain que les monarchistes firent presque bon visage au régime nouveau. Il avait ce mérite précisément d’être nouveau, et aussi d’être « une solution espagnole. » On savait gré à cette « solution » de prendre la place d’une dynastie étrangère qui ne laissait derrière elle aucun regret. Les conservateurs étaient, en somme, disposés à faire crédit au gouvernement de la République ; on l’attendait à l’œuvre.

Il y avait eu, pour commencer, une de ces lunes de miel fugitives qui ne manquent, dit-on, jamais aux unions même les plus mal assorties. Durant les premières heures, on fut tout à la joie. Castelar goûtait délicieusement l’illusion du triomphe. Son optimisme arrangeait toute chose. Au fait, il n’entendait que des acclamations. Il échangeait des télégrammes de congratulations avec les républicains historiques qu’il avait connus dans l’exil, Edgar Quinet, Garibaldi. Comme ministre des Affaires étrangères, il s’apprêtait à notifier au monde l’avènement de la République. Il eut presque aussitôt la satisfaction de la voir reconnue par les Etats-Unis. Le cabinet de Washington y mit un empressement qui parut de bon augure. Mais cet exemple ne fut pas suivi par les puissances d’Europe. Si l’on excepte la Suisse et, je crois, la Turquie, les chancelleries se tinrent sur la réserve. Le fait est que le nouveau régime ou, pour parler plus exactement, les hommes qui le personnifiaient inspiraient pou de confiance. On les savait tout pleins de belles intentions, mais inhabiles à sauvegarder l’ordre public et la dignité nationale contre les entreprises des innombrables aventuriers, charlatans et énergumènes qui, à leur suite, escaladaient le pouvoir par toutes les avenues, envahissaient les administrations, enfin s’improvisaient les maîtres de l’Espagne.