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Ces images parlent à son âme. Dans les calmes matrones dont elles éternisent le sourire discret, elles lui montrent avant tout des épouses et des mères. La silhouette générale trahit la consciencieuse exactitude de l’artiste, et l’absence de coquetterie du modèle. Il faut lire la description précise que Mme Marbolm consacre aux caractères de ces portraits, à ces bustes discrets, à ses amples ceintures. Nous n’osons transcrire que la dernière phrase, qui résume son impression. « La fonction maternelle détermine alors le type et l’idéal de la femme, dans l’art sacré aussi bien que dans l’art profane. »

Aussi voit-on l’aspect général de ces témoignages du passé se modifier profondément, dès qu’a triomphé l’absolutisme royal et, avec lui, l’esprit moderne. Les portraits du siècle dernier ne sont pas moins significatifs que ceux du moyen âge. À ce moment, le corps de la femme n’a plus d’autre mission que de charmer, et l’enfant n’en apparaît plus comme le fruit naturel. Un sourire doucereux et provocant remplace l’expression paisible, innocente, reposante de jadis. C’est le haut du corps qui se développe et domine. Déjà la femme est contaminée. A la fin du XVIIIe siècle, on la verra juchée sur des talons démesurés, balançant comme une tour de Babel sa coiffure enrubannée et empanachée, devenue un être de caprice et d’impulsion, une dangereuse poupée.

Les sources historiques nous apprennent d’ailleurs que, à cet aspect de gravité et de calme qui distingua la femme d’autrefois, répondait parfaitement sa saine conception de la vie. Cette vie s’écoulait dans une sorte de demi-sommeil, où les événemens étaient rares, et les exigences restreintes. Nos grands-pères et nos grand’mères remerciaient Dieu quand ils n’étaient pas malheureux. A leurs yeux, le malheur était en effet quelque chose de positif, tandis que le bonheur conservait plutôt un aspect négatif, et l’on se trouvait heureux de n’avoir pas de causes déterminées de chagrin. Aujourd’hui, « le désir du bonheur personnel, individualisé, riche en nuances, du bonheur prolongé surtout, chante ses hymnes dans des millions d’âmes. » On ne le confond même plus avec la jouissance momentanée et la pure sensation. C’est « une durable et nuancée satisfaction de soi-même en soi-même » qui appelle une sorte d’épanouissement graduel et ininterrompu. Car l’homme et la femme vivent aujourd’hui « avec une intensité de chaque jour, » alors que, jadis, l’intensité étant l’exception, la monotonie demeurait la règle.