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Pas plus qu’à l’égard du destin, la femme ne se montrait exigeante vis-à-vis de l’homme, en ces temps fortunés, si du moins nous en croyons Mme Marholm. Même, elle ne considérait pas son mari comme une personnalité tout à fait définie et déterminée. Il était encore fréquent chez ces grand’mères qu’elles n’appelassent point leur époux par son prénom, ou par un diminutif amical, mais par le nom de famille, qui caractérise la race, ou, parfois, tout simplement au moyen du mot qui exprime le sexe en allemand : « Mann. » La femme, en effet, ne concevait nullement son mari comme une chose qui lui appartînt, mais comme quelqu’un dont elle dépendait, comme une incarnation de la race et du sexe, comme un être séparé d’elle par de la distance et par du mystère, comme un symbole qu’on ne comprend pas, mais devant quoi l’on s’incline. La vie n’était pas pour ces femmes « un jeu de hasard, ni un compte en partie double, ni une expérience généralement manquée. » C’était un rite impénétrable, qu’on laisse s’accomplir au-dessus de soi dans une crainte respectueuse, s’efforçant seulement de conformer son attitude aux intentions de la Providence. — Ajoutons que, suivant son habitude. Mme Marholm n’hésite pas à développer ces considérations d’une manière plus précise encore. Toutefois, pour être osé, ce qu’elle ajoute sur l’impersonnalité de l’homme dans les mariages de jadis n’en est pas moins d’une vérité assez générale.

Dans cette aveugle soumission à la destinée, les femmes trouvaient autrefois plus de bonheur que dans leurs révoltes du présent. Elles étaient plus influentes et plus utiles, parce qu’elles demeuraient femmes avant tout, confinées, mais souveraines dans le domaine de leurs attributions naturelles ; et la situation prépondérante qu’elles occupaient jadis dans la société cultivée parait fort diminuée de nos jours. « En tous temps, l’influence et l’action de la femme ont dépendu moins de ce qu’elle produisait que de ce qu’elle était. Les femmes produisent aujourd’hui de toutes façons : elles étudient, écrivent des ouvrages innombrables, président de nombreux comités, font des collectes pour les destinations les plus diverses, obtiennent le bonnet de docteur, donnent des conférences, fondent des associations : elles occupent plus que jamais l’attention publique. Et pourtant, leur influence sur l’opinion est moins grande que par le passé. — Où sont ces maîtresses de maison dont les salons furent le lieu de réunion des esprits les plus progressifs, des hommes les plus éminens de leur génération ? Où