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Entre le type suédois et le sien, il y avait une distance qui ne permettait pas aux fines vibrations affectives qu’elle appelait de ses vœux de se développer librement en elle. Sa nature impressionnable et avide de sensations souffrit de plus en plus amèrement de sentir sa personne à mille lieues du type de beauté qu’elle découvrait autour d’elle, si fréquent et si sûr de lui-même. »

On le voit, Mme Marholm ne se lasse pas de revenir sur l’atmosphère ingrate qui acheva d’étouffer en son héroïne les germes de bonheur, dont un ciel plus clément eût favorisé l’éclosion. C’est la note originale qu’elle apporte dans le récit de cette existence tragique.

En 1891, revenant vers le Nord d’une excursion en Italie, Mme Kowalewska se sentit particulièrement épuisée, abandonnée et surmenée. Cela lui arrivait souvent au cours des innombrables voyages que son agitation intérieure la poussait à entreprendre sans cesse. Mais, cette fois, « il lui sembla que quelque chose se brisait en elle. Les incommodités de ce retour, avec ses changemens continuels de moyens de transport, sous la pluie, la tempête et la neige, ne trouvèrent plus de contre-partie dans un suffisant ressort moral. Les plus petites difficultés de la route, telles que le change des monnaies et l’absence des porteurs de bagages, prenaient des proportions colossales aux yeux de cette femme sans appui. La vie lui parut perdre, pour un moment, toute valeur. Maladive, faible et fatiguée comme elle l’était, elle s’abandonna sans précautions au vent et aux intempéries du Nord. Elle arriva malade à Stockholm, où ses cours devaient recommencer immédiatement. Un dangereux refroidissement se déclara, et, dans la fièvre angoissante qui en marquait le prélude, elle sortit, avide d’air pur, légèrement vêtue, avec de minces souliers, dans la rude température du février Scandinave. » Quelques jours après, elle était morte, entre les mains d’une garde-malade de hasard.

Ainsi, conclut Mme Marholm, si Sonia n’a pas connu l’amour, c’est pour on avoir laissé passer l’heure, en s’attachant à la poursuite de la gloire, qui lui parut suffisante pour remplir son existence de ses rayons éclatans. Quand elle s’aperçut de son erreur et chercha avidement la chaleur de quelque foyer plus doux, il était trop tard pour revenir en arrière, et sa destinée tragique s’accomplit. Voilà bien la morale que nous avait promis l’auteur du