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de la trentième année. « Il y eut un temps, dit-elle, où les jeunes filles voyaient approcher avec effroi leur vingtième année. Vingt ans ! soupiraient les bonnes amies de la maman, et pas encore de mari. A présent, les meilleures amies elles-mêmes sont devenues plus tolérantes. Elle aura bientôt trente ans, chuchotent-elles, elle n’a plus beaucoup de temps à perdre. » Cette phrase paraît un sarcasme au premier abord, mais l’auteur ajoute aussitôt : « Il y a d’ailleurs plus d’observation physiologique et psychologique qu’on ne pense dans ce jugement banal. Les années entre vingt et trente, nous pouvons l’observer entre nous, sont évidemment pour les filles des années de lassitude. Mais, pour celles qui n’ont pas été brisées ou fanées pendant cette période, la courbe se relève avec la trentième année. » Et ailleurs, à propos de Mme Kowalewska : « Les femmes capables de devenir les meilleures parmi celles de notre époque sont les vaillantes qui n’ont pas voulu entamer tout d’abord l’accomplissement de leur destinée de femme, et qui, dans leurs jeunes années, ont senti peser sur elles des devoirs plus importans que celui d’être au plus tôt des épouses et des mères. »

Il faut donc bien se décider à le reconnaître : l’ennemie du féminisme trahit souvent une préférence évidente pour la femme cultivée, pour la femme de lettres même, ô surprise ! à la seule condition que celle-ci, à temps encore, c’est-à-dire aux environs de la trentième année, secoue définitivement le joug de la littérature, et s’aille suspendre au cou de l’homme sain qui lui offre son amour, vient la sauver d’elle-même, et en faire une femme véritable au lieu d’une machine à produire des livres. C’est là le sort de presque toutes ses héroïnes. Toujours conférencières, professeurs ou journalistes, elles trouvent, après dix ans d’une vie misérable, le fiancé qui leur fait oublier tout le reste, ambitions et amertumes passées. Mme Marholm, qui a peut-être connu par elle-même quelques-uns de ces sentimens, en a certainement contemplé plus d’une fois le spectacle au sein du féminisme scandinave. Les mieux douées parmi les femmes écrivains du Nord, Mmes Strandberg, Skram, Edgren, ont en effet suivi cette voie, avec quelques divergences légères. Il faut avouer, par exemple, qu’elles ont parfois abandonné un premier époux sur le chemin du bonheur : mais Mme Marholm n’a jamais introduit cette circonstance dans ses œuvres d’imagination.

Ainsi, la femme moderne réalise son véritable idéal lorsque.