Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/854

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont jamais pu être prises en flagrant délit ; lorsque apparaît une nouvelle figure, toute conversation s’arrête. Ceux sur qui on met la main ne sont en général que des comparses ; interrogés, ils déclarent ignorer le nom et le domicile du personnage auquel ils portent l’argent : « C’est un petit homme brun ;... C’est un gros garçon porteur d’un chapeau de paille... » Un café des boulevards était connu à la préfecture pour recevoir énormément de ces paris interlopes, mais il fallait savoir ce qu’ils devenaient. Les agens filèrent, à travers plusieurs péripéties, le « plongeur » de l’établissement jusqu’à la porte d’un bookmaker qui demeurait à l’autre bout de Paris, et lorsque le porteur, un jeune homme sans défiance, redescendit l’escalier, sa mission accomplie, ils le firent remonter et le confrontèrent avec le destinataire. Le bookmaker sans parole est dénoncé par ses dupes, mais trop tard ; il a eu le temps de se sauver. Puis les condamnations prononcées par les juges, dans la proportion de 19 sur 20 des inculpés traduits à leur barre, sont assez bénignes : 15 jours de prison et 500 francs d’amende ne sont pas pour les dégoûter du métier.

Il est donc moins facile qu’on ne le croirait d’extirper cette lèpre du pari de contrebande, qui sévit jusque dans les classes les plus humbles, et l’on ne doit pas espérer que même les projets de loi soumis actuellement à la Chambre y réussissent aisément. Le joueur apprend qu’un cheval a rapporté 1 035 francs pour 10 francs, comme ce printemps à Maisons-Laffitte, et sa cervelle s’échauffe. S’il fréquente les courses, il y trouve des garçons d’écurie à l’air profondément anglais, soi-disant débarqués depuis une heure de Chantilly, où ils ne mettent jamais les pieds, mais qui vivent dans les bars voisins de l’Opéra et versent des conseils à prix débattu, depuis un louis jusqu’à 50 centimes, en ayant soin de donner séparément, à l’oreille de chacun, le nom d’un cheval différent. De cette façon il y en a sûrement un qui gagne. Celui-là devient leur ami ; il se portera naïvement garant de leur compétence si, dans la foule, elle est mise en doute. Quelques-uns crient les « Renseignemens de la dernière heure, » et se font envoyer, sur la pelouse, des télégrammes que leur transmet, du bureau de Boulogne, un compère.

J’ai parcouru, sans pouvoir juger de leur valeur, des « Etudes sur les paris de courses, » volumes graves, bourrés d’équations d’algèbre, où sont exposées et codifiées les espérances mathématiques, et d’où il appert que le bookmaker parfait serait semblable