Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fais administrer pas Abdallah, et tout est fini. On me jure qu’on ne s’écartera plus.


Le déjeuner terminé, nous remontons sur le plateau monotone où nous nous traînons jusqu’au soir. Et la belle nuit transparente de ces régions sèches descendue paisiblement sur la terre qui s’assoupit, le camp est dressé au fond d’une petite daya, sur les sables mouchetés de drinn.

Le soir de dures étapes, c’est l’heure exquise du repos, dans la paix fraîche et le silence des espaces.

Pendant que quelques hommes déchargent les chameaux qui beuglent, d’autres courent la campagne pour ramasser de quoi allumer le feu. L’insouciance de ces gens-là m’irrite, jamais je n’ai pu leur persuader de recueillir pendant la marche les herbes sèches et les branchettes qui nous sont nécessaires ; ils préfèrent perdre une heure chaque soir à cette recherche. Les chameaux déchargés sont abandonnés à l’aventure ; on ne les entrave point ; il n’y a pas de danger qu’ils s’éloignent ; ils passent ainsi une partie de la nuit à brouter le drinn, et on entend longtemps le bruit sourd de leurs mâchoires.

Le feu allumé, nous dînons sur une planche posée sur deux tréteaux, à la lueur d’une bougie, assis sur deux plians, cependant que le soir pacifique et muet repose sur les vastes campagnes.

Quand nous rentrons dans notre tente, notre escorte commence seulement à dîner. Le matin, les Arabes se contentent de quelques dattes, conservées au fond d’un tellis ; mais le soir ils. ont le temps et leur indolence se plaît à faire durer les repas. Leur menu consiste invariablement en couscouss. ils s’attardent longtemps, à causer, à la fraîcheur de la nuit, jusqu’à l’heure où ils se roulent dans leurs burnous ; ils chantent même parfois, et leurs chants graves et monotones résonnent longuement au loin dans le désert profond.

Cette nuit-là nous prenons plus de précautions que jamais ; nous sommes tout près ici du chemin qu’ont suivi les pillards. On place deux sentinelles, et le camp s’endort enfin, tandis que la fumée de notre brasier, argentée par la lune, monte droit vers le ciel dans l’atmosphère immobile.