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il passa à côté d’honnêtes gens comme Rochambeau, indifférent, sans rien leur emprunter de leurs talens ou de leurs qualités morales.

A une époque comme celle où il était venu au monde, le duc de Lauzun n’avait pas le choix de sa carrière. Il devait inévitablement appartenir par quelque côté à l’armée, et effectivement, il avait quatorze ans à peine quand il entra aux Gardes françaises avec un brevet d’enseigne à drapeau. Devenu la même année enseigne à pique, lieutenant, puis capitaine, il fut nommé à vingt ans, — avec dispense d’âge, — colonel d’infanterie, et put entrevoir, dès ce jour, le bâton de maréchal de France, porté avant lui, non sans quelque gloire, par quatre ou cinq Biron.

Avec l’instruction très incomplète, avec l’éducation efféminée qu’il avait reçues, Lauzun ne pouvait être qu’un militaire de cour, un officier de parade ; il n’y manqua pas. Le temps où il vécut souligna encore cette situation équivoque.

Effectivement, la date à laquelle Lauzun était inscrit pour la première fois sur la matricule d’un régiment était précisément celle où éclatait dans l’armée française le mouvement vers l’étude, peut-être le plus actif qui s’y soit déclaré jamais. Les revers de la guerre de la Succession d’Autriche et plus encore ceux de la guerre de Sept-Ans avaient fait naître, à cet égard, parmi nos militaires, de salutaires réflexions. Nos officiers s’étaient souvenus que toute science a des règles, que tout art a des principes, l’art et la science militaires comme les autres. On se redisait que les grands généraux du siècle de Louis XIV avaient dû leurs succès à leurs dispositions méthodiques autant qu’à la valeur de leurs troupes ; que des hommes comme Rohan, celui de la Valteline, l’auteur du Parfait Capitaine, — un livre que les militaires lisent aujourd’hui encore avec profit, — que Goësbriant et le Grand Condé, que Turenne, Puységur, Luxembourg avaient poussé fort avant l’étude à la fois des combinaisons stratégiques et des manœuvres tactiques. La recherche, le travail intellectuel constituaient donc le secret des grandes victoires et des succès décisifs : nos officiers se mirent au travail avec entrain, avec acharnement, avec passion.

L’élan du même genre que nous avons vu se produire dans les cadres de notre armée après 1870, cette affection pour les études théoriques qui, chez les militaires, demeure toujours féconde à la seule condition de ne se séparer jamais de l’application,