Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais cela même lui crée une obligation : celle de la neutralité. Cette neutralité, nous ne songeons guère à contester qu’elle ne soit nécessaire : nous nous plaindrions plutôt que dans un ordre d’enseignement, l’enseignement primaire, elle soit depuis si longtemps continûment, cyniquement et officiellement violée. La neutralité est dans l’état actuel la formule du libéralisme. Souhaiter que l’Université enseigne une morale d’État, ce serait souhaiter qu’elle cessât d’être un grand corps maitre de lui-même et responsable vis-à-vis du pays, pour devenir un instrument de tyrannie. Nous n’avons que trop de tendance à tourner sans cesse nos yeux vers l’État ; nous voulons qu’il nous donne des places, des récompenses, des honneurs, des emplois pour nous, pour nos enfans et nos petits-enfans, qu’il protège notre commerce, encourage notre industrie, qu’il nous garantisse contre les accidens du travail, qu’il nous assure contre les risques des entreprises financières et généralement qu’il substitue son action à notre initiative. On pensera que cela fait beaucoup de choses à attendre de l’État et que s’il creuse nos ports, construit nos ponts, entretient nos routes et monopolise nos tabacs, il n’y a pas lieu de lui demander une morale. Au surplus, on ne confectionne pas des règles de vie comme on rédige un règlement de voirie. Et dans un pays où le pouvoir est aux mains d’une minorité qui gouverne sans principes, au hasard des circonstances, au gré de ses caprices et de ses rancunes, on devine aisément de quoi serait faite une morale d’État : morale de combat contre toutes les croyances qui ont fait notre pays ce qu’il est, morale dont le Credo serait un réquisitoire dressé par la haine. La neutralité scolaire a de solides avantages. Mais on voit aussi quels en sont les inconvéniens. Sur toutes les questions essentielles le professeur est obligé de s’abstenir. Sur celles-là mêmes qui intéressent la vie de la conscience, il est tenu de n’avoir pas d’opinion et de laisser croire qu’il ne pense rien. Il n’est ni pour, ni contre. Qu’il ne fasse un pas ni à droite ni à gauche ! Qu’il ne bouge pas ! qu’il se surveille I Mais, à se tant surveiller, on perd toute hardiesse. Ne pas bouger, c’est être paralysé. On n’agit pas en s’abstenant. Cette impossibilité de se référer à un corps de doctrines et de sortir du vague, c’est le grand obstacle auquel se heurte l’Université.

Je sais bien qu’elle essaye de pallier à ses propres yeux cette insuffisance et qu’elle se paye volontiers de mots. Quand on lui demande à quoi tendent ses méthodes, elle s’empresse de répondre que c’est à faire des hommes. Voilà un mot qui sonne bien. Le malheur est que si, par hasard, on essaye d’en presser le sens, on s’aperçoit qu’en effet