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Empire à deux doigts de sa perte, qu’au lieu de faire de regrettables concessions aux inventions des Barbares occidentaux, il vaudrait mieux promettre une haute récompense à qui retrouverait le secret des chars volans traînés par des phénix qui existaient autrefois ? Ne voyait-on pas aussi tout récemment des membres du Tsong-li-Yamen protester contre les travaux de terrassement des chemins de fer et contre les clous enfoncés dans les traverses, au risque de blesser l’épine dorsale des dragons sacrés, habitans du sous-sol ?

Il n’est donc pas surprenant qu’une courte ligne d’environ 18 kilomètres, construite en 1876 par des Européens, entre Shanghaï et \yoosung, son port en eau profonde, ait été arrachée par les autorités chinoises l’année suivante. Il est vrai qu’une partie du matériel en fut employée, mais après avoir été exilée à Formose, où elle servit, vaille que vaille, à établir un petit tronçon de ligne, que les Japonais s’occupent d’améliorer et de prolonger. Peu de temps après, cependant, Li-Hung-Chang se laissa persuader d’établir un court chemin de fer industriel entre ses mines de charbon de Kaïping et la rivière navigable la plus proche, le Petang, située au nord du Peï-ho : cette voie fut ultérieurement prolongée jusqu’à Tien-tsin, d’une part, et de l’autre jusqu’à Shanhaï-Kwan où la Grande-Muraille rejoint la mer. Si on en avait résolument poussé les travaux plus loin vers le nord-est, nul doute qu’elle n’eût pu rendre de grands services pendant la guerre avec le Japon. Quoi qu’il en soit, cette petite ligne de 280 kilomètres était la seule qui existât en Chine jusqu’en 1896 ; elle était excentrique et avait été construite pour ainsi dire à la dérobée.

En se décidant, après la guerre, à la faire prolonger jusqu’à Pékin, le gouvernement chinois avait probablement surtout en vue de jeter de la poudre aux yeux des étrangers ; l’ouverture de ces 135 kilomètres de voie ferrée n’en est pas moins un événement des plus intéressans, comme exemple de ce qu’on peut attendre des chemins de fer dans les régions peuplées de la Chine. Lorsque je me rendis à Pékin au mois de septembre 1897, il n’y roulait encore qu’un seul train par jour dans chaque sens, faisant le trajet en cinq heures ; lorsque j’en revins en octobre, on en avait mis en mouvement un second, un peu ambitieusement qualifié d’express, qui mettait Tien-tsin à moins de quatre heures de la capitale et marchait à la vitesse de 32 kilomètres à l’heure.